• Voici la suite

     

    PO D'ZEB (2)

     

    Elle s'ouvrit de toutes ces découvertes à Mana, qui ne répondit pas...Au moment de la quitter

    seulement, elle lâcha :

    —" Je suis ton guide et ne puis me taire. Princesse, il faut que tu saches que nul ne peut décider

    pour toi ce qu'il faut penser ; même pas moi. Agis toujours selon ton cœur, ta raison, ton

    bon-sens et ta sensibilité. Réfléchis avant d'agir, mais une fois ton parti pris, agis, sans crainte

    ni regret."

    Et, comme d'habitude, elle disparut sur sa dernière parole.

    Lala s'était faite belle pour recevoir la Licorne.

    Elle resplendissait dans son boubou "Coucher-de-soleil-sur la savane" au milieu de sa grotte

    merveilleuse. Mais les récits entendus dans la journée pleins de malheurs et d' injustices

    rapportés attristaient son cœur et un chant très doux lui monta aux lèvres, plein d'empathie et

    de compassion.

    Or, la grotte communiquait avec l'extérieur par un tortueux boyau rocheux rejoignant l'étendue

    de terre rouge qui lui faisait un toit. Sur cette étendue de terre parsemée de petits rochers plats,

    un homme se reposait d'une très longue course, qu'il accomplissait régulièrement pour venir

    visiter et soulager ses amis, les réprouvés et les bannis du royaume de son voisin, le roi Cruel.

    C'est ainsi qu'il nommait le puissant roi de ces terres depuis qu'une sorte de folie semblait s'être

    emparée de lui, lui faisant commettre des actes innommables. Lui-même était le Prince d'un

    royaume situé au milieu de la forêt. 

    Harassé, il s'étendit sur une de ces pierres plates. Il méditait sur les malheurs de ses protégés

    quand, venant de nulle part, s'éleva une très douce complainte tellement en accord avec le cours

    de ses pensées. Il voyait bien qu'il n'y avait personne sur le plateau où il avait fait halte, aussi

    pensa-t-il que la fatigue lui jouait des tours, et, bercé, s'endormit-il pour de bon.

    Ce jeune sage portait des tatouages indiquant à la fois son haut rang et  son instruction dans

    tous les arts, celui de la guerre mais aussi la connaissance des hommes, l'art de faire régner la

    concorde entre eux, d'apaiser les animaux, de se concilier les esprits des ancêtres et des arbres...

    C'était, malgré son jeune âge et sa belle tournure un grand mage et un puissant seigneur, si on

    en jugeait par la magnificence de ses armes et de ses bijoux. Il portait les deux avec élégance

    mais sans orgueil sur un corps magnifiquement sculpté sous ses ornements. La paix du sommeil

    rendait ses traits, auparavant soucieux et crispés par la pensée des souffrances entrevues,

    détendus et naïfs comme ceux d'un enfant.

    Tapie derrière un rocher, Lala, enveloppée, par prudence, de sa peau de zèbre protectrice avec la

    vilaine gibbosité que formait la tête de panthère noire pliée en-dessous, le regardait dormir,

    ébahie.

    Lorsqu'elle avait entendu quelques cliquetis, elle avait craint  une incursion de bête dans son logis.

    Elle était sortie en se cachant pour découvrir ce qui bruissait ainsi au-dessus de sa caverne...

    et avait vu...

    Son cœur était ému, envoûté, irrémédiablement séduit, captivé...

    Le Prince changea légèrement de position. Bouleversée, elle s'enfuit vers son refuge.

    Ôtant sa gangue de Pod'zèb, elle apparut comme un joyau dans son "Boubou coucher de soleil",

    dont les reflets illuminaient la grotte aux merveilles. Elle dansait doucement, berçant de  doux

    sentiments et rêvant... à des choses si impossibles qu'elle eut honte et se cacha dans une

    anfractuosité sombre de son domaine enchanté.

    Paradoxe des sentiments violents si brusquement éprouvés, ou légère magie protectrice de Mana,

    veillant toujours, ou peut-être parce que son rêve était si joli qu'elle  s'y accrochait, elle s'endormit

    ainsi dissimulée.

    Pour toutes ces raisons le jeune prince Nouraï, qui s'était éveillé en croyant entendre à nouveau un

    doux murmure harmonieux, chercha et trouva la faille rocheuse extérieure, crut voir une lumière

    merveilleuse mais fugitive habiter le rocher, mais ne découvrit pas l'entrée de la grotte dans

    l'obscurité profonde qui l'entourait.

    Il avait pour projet de retourner dans le royaume de son père, afin de solliciter son aide en faveur

    de la petite enclave de souffrances qu'il avait découverte. Mais sa nuit écourtée avait fait naître

    en lui de bizarres sentiments : un intérêt nouveau pour ces lieux qui faisaient naître des sortilèges,

    ajouté à une nostalgie sans autre objet que les battements accélérés de son cœur en cette nuit

    hantée.

    Il différa son départ de quelques heures et retourna auprès de ses amis et protégés, pour poser

    des questions. Il apprit seulement qu'une nouvelle réfugiée habitait à présent du côté de l'abri

    rocheux... une fille laide, sale et bossue, toujours enveloppée d'une peau de zèbre, qui parlait

    très peu d'une voix enrouée. Il demanda comment la rencontrer, et apprit qu'elle aidait la vieille

    le jour où l'on confectionnait les galettes de mil.

    Et ce jour tombait demain.

    Nouraï demanda seulement qu'on fit une galette à son intention, et voulut connaître l'heure de la

    cuisson, pour la manger toute chaude. Il était si généreux avec ces pauvres gens, il leur avait déjà

    tant donné que cette demande les honora. Il promit de venir vers l'heure du zénith. On voulait

    qu'il soit servi dans les premiers.

    Le lendemain, Lala, en arrivant très tôt pour entreprendre de travailler la pâte, apprit la demande

    insolite. Elle fit le rapprochement entre les merveilles de la nuit et ce caprice soudain. Mais elle ne

    voulait pas être vue sous son aspect de sauvageonne par cet être raffiné. Aussi redoubla-t-elle

    d'ardeur et prépara-t-elle si vite le travail qu'elle put s'enfuir un moment en attendant que les

    galettes fussent prêtes à cuire.

    Dans sa grotte merveilleuse, elle se baigna, se para, revêtit sa nudité du "Grand châle couleur de

    nuit" qu'elle drapa avec art. Ornée de ses plus jolis bijoux elle se mit au travail pour confectionner

    et cuire la plus appétissante des galettes. La grotte en était toute parfumée.

    Pendant ce temps, Nouraï errait sur les lieux des sortilèges de la nuit. Il se dissimulait comme

    pour chasser un gibier et explorait chaque pierre de l'endroit où il avait dormi. Il fut très étonné

    de sentir une odeur qu'il identifia comme  celle de la cuisson des premières galettes, si loin de

    l'endroit prévu, et si tôt, car le soleil n'avait pas encore atteint son apogée...?

    Se souvenant de la nuit précédente, il descendit la rocaille jusqu'à l'anfractuosité rocheuse où

    habitait, disait-on, la pauvresse revêtue d'une  peau de bête. La bonne odeur l'y avait précédé.

    Elle émanait du roc lui-même. Suivant son nez, il finit par déceler l'entrée si surprenante et

    pénétra dans la grotte comme un voleur.

    Ce qu'il vit alors lui parut complètement incompréhensible et gela son cerveau, incapable de

    décrypter ce qui pourtant, n'était que la réalité. Il se refusait à découvrir un endroit merveilleux

    servant de luxueux écrin  à une perle noire de la plus belle eau, au corps sculpté par le savant

    drapé d'une étoffe irréelle... évoquant sa forêt natale, par une nuit de pleine lune, quand la

    lumière cendrée fait murmurer les animaux,  les oiseaux, les insectes... quand  la forêt dégage

    un parfum musqué et délicat par bouffées légères, au gré d'une brise musicienne et discrète...

    Transporté quoique fondu dans la paroi rocheuse, Nouraï reprit peu à peu  ses sens. Il observa

    la jeune fille en train d'envelopper la galette dans un joli linge blanc, puis se raviser, rouvrir le

    baluchon pour y glisser quelque chose qu'elle avait pris, semble-t-il, sur la Peau de Zèbre

    effondrée dans un coin. Puis il la vit emmêler ses cheveux, salir son beau visage, et endosser

    ladite peau.

    Il se sauva à toutes jambes, réalisant enfin la signification de ce qu'il avait surpris. Hors d'haleine,

    il arriva près du lieu où cuisaient les autres galettes, au milieu de tous les miséreux réunis et

    heureux de sa présence. Aucune galette n'était encore finie de cuire, tous les affamés attendaient

    au milieu de la délicieuse odeur...quand arriva Po d'zeb, ou plutôt Lala, tenant précieusement un

    paquet de linge blanc. Elle avança vers Nouraï, toute voûtée par le respect, et le lui présenta.

    Elle gardait les yeux baissés et sa bosse se dressait en fonction de ses courbettes. Le regard de

    Nouraï n'était plus innocent. Il remarqua les mains nettes, les pieds soignés et l'étrange façon

    dont étaient disposées les pattes de la peau de Zèbre. Il entrevit, au cours d'un mouvement un

    peu vif pour lui tendre le gâteau, comme une moufle noire, comme la patte d'une panthère

    remplaçant le sabot de l'ongulé.

    Information enregistrée machinalement, tandis que, croquant dans la galette qui était excellente,

    il entreprenait de saluer un par un tous ses protégés attroupés autour de lui. Un objet léger et dur

    crissa sous sa dent... il le prit discrètement sur lui sans rien dire et continua sa tournée de

    congratulations, d'encouragements et de promesses.

    Avant de reprendre la route vers le royaume de son père, il changea de direction au moyen d'un

    long détour et se rendit  à la grotte insolite découverte un moment plus tôt. Il savait son

    occupante retenue par sa tâche collective et voulait s'assurer de la réalité  de la révélation de

    tout à l'heure.

    Il admira les merveilles de la grotte, la douceur et l'égalité de la température qui y régnait,

    s'attarda sur les objets de parure et les bijoux, la féminité et le doux parfum qui en émanaient,

    fit le rapprochement avec la jeune femme peu reluisante qui l'avait servi, sa bosse, son immonde

    peau de bête à l'odeur douteuse, sa figure sale et ses petites mains propres et fines, ses pieds

    de femme coquette... et son allure servile. Tout cela n'allait pas ensemble.

    Il tira au jour l'objet trouvé dans la galette,  Peut-être une explication?

    Hélas, une énigme supplémentaire: une forte griffe de félin, d'un noir d'encre, luisante et

    parfaitement nette...

    La tête pleine de questions, il rejoignit vite ses compagnons de voyage, à qui il avait demandé de

    l'attendre plus loin, sur la route du retour.

    Son père, le roi, l'accueillit chaleureusement. Il s'intéressait à la communauté grandissante des

    évadés du royaume de Cruel —ainsi qu'on le nommait désormais dans et hors de ses terres— par

    pitié, d'abord, puis avec un souci de protection pour son propre peuple.

    Interrogeant son fils, il le trouva rêveur et évasif. Mettant cette attitude sur le compte de la

    fatigue, il envoya Nouraï se reposer.

    Un peu plus tard,  Lamia, la mère de Nouraï et lui constatèrent que leur fils n'était décidément pas

    dans son état normal.

    Ils ne voyaient que deux possibilités : ou il était malade, ou bien la solitude lui pesait.

    — "Il est peut-être temps de le marier", se dirent-ils, après avoir fait constater sa bonne santé

    par le Chaman.

    Il était temps aussi d'après celui-ci, de fêter les Esprits du Renouveau. Les chamans ont toujours

    une fête ou une cérémonie sous le coude, en cas de nécessité...

    Le roi Namba et son épouse préférée Lamia envoyèrent des messagers à leurs familles respectives,

    alliés et alliés d'alliés, —et ça faisait du monde—  ainsi que dans les royaumes  proches, amis ou

    plus ou moins amis... Le message parlait de présenter des jeunes filles à l'héritier du royaume...

    On suggérait une union, on ne le précisait pas... Une phase de lune très proche était désignée...

    Il y eut un grand remue-ménage, des chants, des répétitions de danses, du tam-tam.

    Des costumes étaient réparés, fabriqués, dépoussiérés, adaptés... Les estafettes se croisaient sur

    les sentiers des savanes et des forêts.

    Les bêtes, dérangées, s'enfuyaient ou se terraient... Nouraï, lui aussi retiré, se tenait à l'écart de

    ces préparatifs. Il démêlait sans cesse un écheveau d'énigmes dont il ne trouvait pas le bout du

    fil à tirer. La fête venue, il y participa du bout des lèvres, se montra lointain avec toutes les belles

    qu'on lui présenta pourtant sous leur meilleur jour, et désespéra ses parents par sa froideur et

    son détachement.

    Les Esprits du Renouveau dûment comblés d'honneurs et chacun reparti sur ses terres, le roi

    Namba et son  épouse convoquèrent leur fils, résolus à lui faire retrouver sa belle joie de vivre.

    Ils leur raconta enfin son incroyable aventure, précisant qu'il n'avait distingué aucune des jeunes

    filles pourtant choisies qu'on lui avait présentées. Une seule occupait son cœur, mais il ne savait

    pas si c'était une merveilleuse princesse douée de tous les talents ou une pauvresse sale et

    bossue enveloppée d'une bizarre peau de bête. Il  dit la grotte, la galette, la griffe noire logée

    dedans...Il redevenait un enfant racontant un rêve obsédant à des parents emplis tendresse. 

    Tendres, oui, mais ô combien perplexes, les parents...

    Puis Namba, las de cette perplexité, suggéra :

    — "Eh bien! Nous convoquerons sous les arbres sacrés de notre royaume toutes les jeunes filles

    capables de confectionner et de cuire une galette de mil !!"

    — "Mais toutes savent ça, sauf les princesses et les filles qui ont des servantes!" s'écria Lamia.

     — "Nous connaissons l'endroit où réside cette étrange "Pod'zeb" mi-servante mi-princesse. Il est

    inutile d'ameuter tout le royaume. Contentons-nous de la région concernée."

    — "Mais si elle ne sait rien? Si elle ne vient pas? Si elle ne veut pas venir? " dit Nouraï...

    — "Mon fils, je suis le roi, comme tu le seras. Nous l'irons quérir par la ruse et la force et pas une

    ne nous échappera. Surtout que nous savons où chercher. Mais il faut être honnêtes et voir

    toutes celles qui se présenteront."

    Ainsi firent-ils. Ils se rendirent aux confins du royaume, assez près de l'enclave ignorée où

    vivaient les réfugiés. La garde du roi se répandit par les villages, qui étaient par là tout petits,

    pour demander qu'on fit faire par les filles à marier, une galette de mil pour le Roi, la .Reine ou

    le Prince. Une récompense était promise. Toutes les jeunes filles devaient  obéir, par édit royal.

    Il y eut des galettes, beaucoup de galettes ! Des rondes et des biscornues, des bien cuites et des

    ratées, des choses molles et d'autres qu'on aurait dites vieilles d'un siècle...

    Le roi Namba, la reine Lamia et le Prince Nouraï erraient entre des monceaux de galettes de mil,

    qui furent toutes rompues puis distribuées dans les villages dans de grands paniers. Nouraï

    guettait, intéressé cette fois. Il guettait une galette bien ronde, enveloppée d'un linge blanc,

    portée par une pauvresse bossue aux belles mains fines dissimulée dans une peau de Zèbre

    malodorante.

    Toujours rien.

    Un garde porta enfin au roi une jolie galette envoyée par une jeune fille qui ne pouvait venir,

    malade disait-elle.  Une fois morcelée, on y trouva une griffe noire en tous points identique à la

    précédente. Interrogé, le garde évoqua la peau de bête et l'antre rocheux d'une vagabonde.

    En cortège, le Roi, la Reine et le Prince se rendirent sur les lieux et pénétrèrent dans la grotte

    merveilleuse. Ils y trouvèrent Lala, et Mana pour les accueillir. Il était possible à la Licorne  de se

    révéler au Roi,  car lui aussi avait une représentation symbolique :  le Grand Babouin Volant, et le

    Prince avait comme symbole mythique l'Eléphant Bleu Magique. Elle expliqua les pourquoi et les

    comment tandis que Nouraï et Lala échangeaient des regards enfiévrés.

    Les villages alentour, repus de galettes et joyeux des récompenses données par le roi et ses

    hommes, firent la fête jusqu'au lever du jour, Mana reçut et traita la famille du roi Namba dans

    la grotte où ils passèrent la nuit.  Le lendemain, tout le monde entreprit le voyage vers le

    Royaume  du père de Lala. Heureuse et craintive, Lala se sentait protégée par la famille de

    Nouraï, par Mana et par les bras forts de son bien-aimé qui ne lâchait plus sa main que pour

    l'enlacer. La corne de la licorne fit merveille et raccourcit de beaucoup les distances. Malgré tout

    il fallut bivouaquer deux nuits, mais là aussi la corne de licorne facilita bien des choses.

    Ils arrivèrent enfin au palais du roi Cruel, auparavant nommé Juste. Celui-ci avait en partie

    récupéré ses esprits mais se croyait toujours maudit par la disparition du Zèbre Totem, qu'il

    pensait avoir fait tuer pour obtenir les faveurs de sa fille. Le Sorcier, le Chaman et Mana eurent

    une nouvelle entrevue dans l'écurie somptueuse mais vide de la Bête magique...

    Et le voici réapparu! Entier et bien-portant, au grand contentement de Cruel — pardon —Juste.

    Fou de joie de revoir son Zèbre et sa fille !...La voyant si choyée et si amoureuse d'un homme de

    son âge et d'une autre famille, il oublia son  néfaste caprice et redevint le père aimant et filial

    qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être. Juste et Mana s'étaient attardés auprès du Grand Zèbre

    magique et le  Roi, à qui rien n'échappait, trouva qu'il manquait la griffe du cinquième doigt de la

    patte de  panthère noire de la Chimère. Il vérifia : à  l'autre patte avant manquait aussi la

    dernière griffe... Il trouva le fait étrange sans pouvoir l'expliquer.

    Pendant ce temps Lala présentait au Roi Namba  et à sa suite la famille du Roi Juste son père:

    toutes ses femmes et leurs enfants, les cousins et les neveux, ceux qui croyaient l'être et ceux

    qui parasitaient simplement le palais. Le grand frère de Lala avait défendu ardemment sa sœur

    après son départ, et protégeait jalousement son petit frère disgracié mais à l'esprit vif et original.

    Tous deux se trouvèrent aussitôt en parfaite empathie avec Nouraï, qui apprécia  la vaillance et

    la droiture du jeune homme ainsi que le charme indéniable de l'aimable enfant

    A l'occasion des noces de Nouraï et de Lala, qui eurent lieu dans le royaume de Mamba, deux

    grâces royales et un bon dédommagement furent accordés aux parias de l'enclave sauvage.

    Certains partirent retrouver leurs familles, certains s'établirent comme sujets du Roi Mamba,

    d'autres, finalement restèrent sur les lieux de leur exil. Des petits malins cherchèrent l'entrée de

    la grotte merveilleuse. Nul ne l'a trouvée jusqu'à présent.

    Lala et Nouraï vécurent heureux, eurent de beaux enfants et leur règne fut béni par les Esprits

    des Ancêtres et de la Forêt, auxquels de nombreuses fêtes et offrandes furent consacrées.

    Mana la Licorne, le Zèbre aux pieds griffus, l'Eléphant bleu Magique  et le Grand Babouin  Volant

    se retrouvent parfois, justement dans la grotte merveilleuse dont nul n'a trouvé l'entrée,  avec

    d'autres Chimères et Animaux Surnaturels. Ils se livrent à des joutes de magie et c'est souvent à

    cause de ces jeux que la vie des hommes prend parfois un tour imprévu.

                                                                             FIN

     


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  •  

    Puisque la mode est aux séries, voici le premier épisode d'un conte de fées.

    Aucun suspens, les contes de fées n'en comportent pas. En revanche, vous aurez une impression de déjà vu et de nouveauté.

    Po d'zeb est un remake de Peau d'Âne dans une Afrique aussi fantasque que le Pays des fées européen.

     Pourquoi ? Et pourquoi pas ?

    La princesse Lala est une magnifique jeune fille brune aux cheveux crépus, aux larges  yeux bruns ,à l'allure élancée et à la cambrure

    suggestive, comme Peau d'Âne possédait une peau laiteuse, de longs cheveux blonds, et un port de reine.

     J'espère que l'idée vous plait... Bonne lecture, alors.

     

     

     

    Pod'zèb

     

    Il était une fois il y a très, très longtemps, dans un royaume de chaleur et de poussière, une Reine

    qui sentait venir la mort.

    Elle était renommée pour sa beauté  et la maladie qui l'emportait avait respecté cet éclat, ayant

    seulement alangui sa prestance, adouci ses traits.

    Le Roi, averti de son état désespéré vint la visiter.

    Elle lui demanda :

    — "Vas-tu me remplacer, prendre une autre femme?. Je suis la plus admirée de tes sept épouses...

    S'il te plaît, en mémoire de moi, n'épouse qu'une femme plus jolie que moi....si tu la trouves.

    Cette demande flattait l'ego du roi, qui promit, jura devant les Grands masques et le Chaman: Il ne

    se remarierait  qu'avec une femme plus jolie que la Troisième Reine. C'était presque une capitulation

    , car aucune, dans ce royaume et quelques autres, ne pouvait égaler une telle beauté.

    La Troisième Reine mourut, emportant jusque dans la mort sa grâce intacte. Ses funérailles furent

    magnifiques et durèrent une lune.

    La Reine défunte laissait trois orphelins: un fils aîné, attiré par la guerre, le pouvoir et les armes,

    une fillette ravissante et un tout jeune bambin aussi rieur que ses disgrâces physiques le lui

    permettaient.

    Le temps passa. Le Roi respectait sa parole et n'approchait plus d'autres femmes que les siennes.

    La fillette, nommée Lala grandissait en grâce et en beauté, et bientôt, dans tout l'éclat de sa fraîche

    éclosion, devint plus jolie que la Troisième Reine, sa mère, lorsqu'elle fut remarquée par le Roi.

    Tout le monde s'accordait à l'admirer : les sujets du Roi, les autres épouses du Roi, les amis et les

    ennemis du Roi. La réputation de sa splendeur franchissait les forêts et les cours d'eau.

    Son père en devint amoureux et lui demanda de l'épouser.

    La jeune fille, outrée de cette demande, fit appel aux autres épouses, aux chamans, sorciers et

    sorcières, au conseiller privé, bref, à tout ce qui comptait dans l'entourage du roi. En vain.

    C'était un souverain puissant et redouté; on préférait se faire mal voir des esprits des ancêtres ou

    de la forêt que d'un monarque si puissant.

    Lala essaya de dissuader son père par tous les moyens mais celui-ci, habitué à ce que tout cède

    devant sa volonté, s'entêtait. Alors, Lala consulta en secret son Totem, (ou animal symbolique

    protecteur), qui se trouvait être une Licorne Blanche.

    — "Il faut lui demander l'impossible en échange de ton consentement", lui répondit la bête. Comme

    ce sera irréalisable, il ne pourra pas acquiescer à ton désir, donc tu ne pourras acquiescer au sien..."

    Lala demanda à son père d'exaucer trois souhaits :

    Le premier était d'avoir un boubou "couleur d'un coucher de soleil sur la savane". Chacun sait que le

    soleil, sous ces latitudes, se retire tellement vite et les merveilles de son coucher sont tellement

    fugitives que jamais un artisan tisserand ou teinturier ne pourra saisir de si magnifiques  nuances

    en si peu de temps.

    Mais les artisans du royaume étaient  compétents et  habiles, utilement stimulés par les arguments

    du roi. Ils fabriquèrent un boubou somptueux, tout à fait semblable aux plus beaux couchers de

    soleil sur la savane, et l'astuce était que lorsque l'un s'éteignait, il s'en allumait un autre à côté et

    ainsi de suite. Ce boubou présentait un coucher de soleil éternel et changeant tout à la fois.

    Lala dut accepter ce présent inouï, non sans préciser à son père qu'il lui restait deux autres souhaits

    à satisfaire.

    Mana la Licorne, consultée, suggéra deux pistes. Ou bien il fallait s'attaquer  au Totem de son père,

    garant et responsable de sa puissance, en l'occurrence une Chimère au corps de zèbre, à la tête et

    aux pieds de panthère noire, ou bien tenter encore de demander quelque chose d'impossible.

    Lala aimait bien son papa, en dehors de cet étrange entêtement qu'il avait de vouloir  faire d'elle sa

    femme. Tuer son animal allégorique était vraiment très grave : il perdrait probablement tout ses

    pouvoirs sur son peuple, sa force, ses capacités à gouverner, probablement aussi sa sagesse, déjà

    en péril à cause de sa lubie pour Lala... Rongée de chagrin à cette idée, la princesse Lala opta pour

    essayer encore l'impossible.

    Conseillée par la licorne, Lala exigea une très grande étoffe pour s'y draper à sa fantaisie. Cette

    écharpe devrait être" couleur de la nuit dans la forêt vierge, en période de pleine lune, au printemps,

    et receler, outre les couleurs d'une nuit de lune, toutes les effluves et toutes les musiques des

    habitants de la forêt, du sol à la canopée, évoquées de manière agréable et douce".

    Elles avaient mis au point leur desiderata au cours d'une grande crise de fou-rire, tout à fait certaines

    que le roi comprendrait qu'à l'impossible nul n'est tenu, que sa fille témoignait ainsi qu'elle ne serait

    jamais à lui, et abandonnerait son idée sacrilège et saugrenue.

    Le Roi reçut la demande le plus sérieusement du monde et affecta l'élite des artistes, des artisans,

    des ouvriers et des manœuvres du royaume à cette réalisation. Les sorciers et magiciens furent

    également mis à contribution, et des émissaires  partirent  dans toutes les directions chercher et

    recruter tout ce qui pourrait contribuer à la réussite de l'entreprise: hommes, femmes, enfants,

    esprits, animaux, oiseaux chanteurs, grillons et griots.... Ils  kidnappaient les êtres vivants et

    volaient les biens dans tous les royaumes voisins...

    Les ripostes ne tardèrent pas et les envoyés de ces autres royaumes vinrent avec des délégations

    plus ou moins pacifiques menacer ou se plaindre au père de Lala. Tous parlaient d'exactions inadmissibles.

    Le Roi tenta de les calmer en leur promettant des dédommagements et des cadeaux, mais, disait-il

    avec une mine effrayante, il fallait d'abord le laisser faire.

    La terreur régnait, et tous travaillaient à la grande entreprise sous la contrainte. Pendant ce temps,

    les bras manquaient pour nourrir le pays. La famine commença à sévir.

    Lala et la Licorne Blanche ne riaient plus. Elles devaient lutter, elles le comprenaient, contre la folie

    du monarque et rétablir la vie normale du royaume.

    Pendant ce temps, l'acharnement de tous ceux qui travaillaient  au "Grand châle couleur de nuit"

    commençait à porter ses fruits, l'œuvre avançait. Même terrorisés, affamés, maltraités, les artistes

    qui s'y consacraient s'entêtaient à résoudre tous les problèmes posés par cette demande inouïe.

    Ils étaient si intelligents et si habiles qu'ils étaient près de réussir.

    C'était la consternation dans la case du Palais où résidait la Princesse Lala. Elle avait honte d'être la

    cause de la désolation du pays, n'osait plus se montrer, et toutes les nuits convoquait Mana la

    licorne pour trouver le moyen de mettre fin à tout cela, sans pourtant céder au Roi et à sa folie.

    L'opinion de Mana était qu'il fallait sacrifier le Totem du roi, tuer le "Zèbre à tête de panthère noire"

    garant de sa puissance. Lala ne pouvait s'y résoudre. Et puis encore fallait-il le réaliser!

    Cet animal magique était sous la garde du Grand Sorcier, conseiller du roi et son grand ami. Lui seul

    pouvait parvenir jusqu'à la bête, et pour l'abattre, il fallait une cérémonie magique compliquée.

    Mana la licorne prit les choses non en mains, elle n'en avait pas, mais au bout de sa corne unique,

    qui valait les meilleures baguettes magiques.

    Elle eut un conciliabule secret avec le Grand sorcier et le Chaman. Celui-ci, responsable de la santé

    du Roi, s'alarmait de la violence de son caprice pour sa fille. L'obstination qu'il mettait à  satisfaire

    des idées farfelues destinées à lui faire prendre conscience que son désir n'était pas réalisable

    l'effrayait et la démesure des dernières décisions qui menaçaient la vie des sujets  du roi et la paix

    du royaume lui paraissait insensée. Ils complotèrent tous les trois et se débrouillèrent pour que la

    peau du" Zèbre à tête et pattes de panthère noire" fut retrouvé au matin, nettoyée, tannée et

    assouplie, dans la case somptueuse qui lui servait d'écurie.

    Le Sorcier cria à la magie, pratiqua quelques cérémonies... Le Chaman constata la prostration du Roi,

    le total effondrement de sa volonté, une sorte de maladie de langueur qui le rendait faible et

    souffreteux...

    Lala reprenait espoir. Elle alla rendre visite à son père malade. Mais celui-ci, du fond de son lit,

    chevrota :

    — " Le Grand châle couleur de nuit est prêt. Il est magnifique et bientôt je serai guéri et nous

    célèbrerons nos noces"...

     Lala sentit une grande vague de colère et de dégoût l'envahir :

     — "Puisque c'est ainsi, mon troisième souhait sera de posséder la peau du" Zèbre à la tête de

    panthère noire" Je vais de ce pas la chercher, ainsi que ce châle merveilleux qui a coûté le  malheur,

    la vie et la sueur de tant de gens talentueux. Adieu mon père, vous ne me reverrez plus jamais".

    Revenue chez elle avec ses trophées, elle enfourcha Mana la licorne qui la conduisit dans un endroit

    secret, une sorte d'îlot entouré de marécages et de bosquets impénétrables.

    Là vivaient tant bien que mal des parias de toutes sortes, aussi bien pris pour voleurs et bandits,

    que des opposants au Roi ou des hommes qu'il avait banni du royaume, ainsi que d'autres qui

    avaient fui pour sauver leur vie. Cette communauté où des exclus du royaume s'étaient groupés,

    soutenus,  subsistait en cultivant divers mauvais lopins de terre. Avec quelques poules et quelques

    chèvres, elle survivait pauvrement dans des huttes de terre couvertes de branchages.

    Mana conduisit tout droit la princesse vers une falaise rocheuse où s'ouvrait une faille noirâtre.

    — "Tu vas t'installer dans cet abri sous roche. Voici le coin où tu peux faire du feu. Ici nous

    improviserons une couche de feuilles et d'herbes sèches...Tu te recouvriras de terre séchée et

    porteras sur toi la peau du Zèbre que nous avons emportée. Nul ne te reconnaîtra ainsi."

    La pauvre princesse n'était pas habituée à vivre en ermite et considérait cette précaire habitation en

    soupirant profondément. Rassemblant tout son courage, elle commença à ramasser des feuilles et

    des fougères pour faire son lit, quand la licorne lui dit :

    — " Avant tout, il faut défaire tes bagages" et elle lui montra un volumineux ballot enveloppé dans

    un tapis, qu'elle n'avait pas vu arriver. Le gros sac  les précéda au fond de la faille, et pénétra derrière un rocher. Lala suivait, poussée gentiment par Mana qui montrait sa joie par de petites ruades et des sauts de cabri.

    Lala, le cœur battant, découvrit une grotte immense, toute illuminée, plus merveilleuse que le plus

    merveilleux palais du monde. Partout des draperies de pierre, des colonnes ouvragées, des cascades

    minérales, des bassins tranquilles au fond couvert de perles, et des chutes d'eau produisant une

    musique pareille à d'agréables chants d'oiseaux.

    Mana la poussait, la taquinait, riait de sa surprise :

    — "Tu vivras de temps en temps dehors, afin que l'on croie que tu es une pauvre fille réfugiée là

    comme tous les autres. Tu seras alors dissimulée par la peau de Zèbre, nul ne verra ta beauté.

    Il faudra quelques fois aller mendier du travail auprès des autres misérables, pour qu'on sache

    comment tu subsistes... Si rien de toi ne paraît étrange, tu seras acceptée par ceux-ci, qui ne risquent

    pas de dénoncer ta présence au  Roi. Le reste du temps, tu habiteras  cette grotte, tu pourras te

    faire belle et te distraire. Tu seras approvisionnée par mes soins. Voici tes vêtements, tes fards, tes

    instruments de musique, ta broderie, tes bijoux... Et voici le "Boubou couleur de coucher de soleil",

    et le  "Grand châle couleur de nuit."

    Le tapis, déployé sur le sol, montrait aussi un lit confortable, un bon fauteuil et une petite table où

    étaient disposés toute sa parure et tous ses objets familiers.

    — "Bon, je dois partir, on m'attend" dit brusquement la licorne, qui disparut sur l'instant.

    Lala ne connaissant rien du lieu où elle était. Cette partie du Royaume lui était complètement

    inconnue. Elle revêtit sa peau de Zèbre, emmêla ses cheveux dénoués de brindilles et sortit comme

    elle était entrée tout à l'heure, par une brusque quinconce qui dissimulait entièrement l'entrée de la

    caverne; A tel point qu'elle préféra prendre quelques repères pour être sûre de retrouver le passage.

    Enveloppée, dissimulée par la dépouille de l'animal symbole de son père, elle osa se diriger vers le

    marais où quelques femmes prélevaient des roseaux, sans doute pour faire du feu. Elle fit de même,

    sans un mot et se retira discrètement. Retournée à l'anfractuosité de rocher, elle alluma un petit

    brasier qui fuma assez pour signaler une présence. Elle termina la récolte  des fougères pour établir

    une litière, sur laquelle elle s'étendit pour regarder tomber le soir, et montrer  à d'éventuelles

    curiosités qu'on y dormait vraiment. Ceci fait, elle rentra dans la grotte merveilleuse, dotée d'une

    agréable température constante et miraculeusement éclairée par un halo discret qui suivait ses déplacements

    Allons, cet exil ne sera pas trop terrible, grâce à Mana !

    Lala, orpheline de sa mère, séparée de ses frères et obligée de fuir son père et sa folie, sa maison, ses servantes, sa nounou qu'elle aimait, trouvait quelque compensation à son chagrin par la beauté qui l'entourait  et l'attention que lui montrait Mana.

    Dans le petit groupe des bannis et des hors la loi, la nouvelle de l'arrivée d'une inconnue, miséreuse,

    discrète, couverte d'une peau de bête et se contentant d'un abri de rocher dont personne n'avait

    voulu jusqu'à présent causa bien des conversations et des théories. Quand on eut bien bavardé, les

    nécessités de la vie retinrent à nouveau toutes les attentions, et le temps, un instant dérangé,

    passa de nouveau calmement sur les parias.

    La princesse Lala était curieuse de comprendre le point de vue de tous les réprouvés, ses voisins

    par force. Mana interrogée n'avait pu que répondre :

     — "Rends-toi parmi eux, fais les parler, tu en sauras plus que moi...  Mais attention, reste cachée,

    discrète... N'oublie jamais que tu es en grand danger! Ton Père n'a pas repris ses esprits, mais son

    entourage, en particulier ses autres épouses et leur famille ne te feront pas de cadeau...

    Ainsi fit Lala, vite surnommée "Pod'zèb". Elle s'offrit pour des travaux de maraîchage : planter,

    récolter...Personne ne bavardait durant ces heures pénibles... Elle tenta d'aider pour les repas de

    ceux qui travaillaient dehors...On lui permit d'assister une vieille qui s'en chargeait. La vieille était

    sourde et tenait des propos incompréhensibles... Mais à force de mendier ainsi du travail, on lui

    proposa de partager les repas qu'elle contribuait à préparer. Les travailleurs s'asseyaient en rond,

    fatigués et peu loquaces... Mais vint le moment où, un problème les agitant, ils en vinrent à égrener

    leurs malheurs.

    Lala, toujours enveloppée de sa peau de zèbre, souillée, muette mais toute ouïe, recoupait ces récits

    avec le peu qu'on avait pu évoquer devant elle de ces bribes d'histoires... Et sa famille n'avait pas le

    beau rôle!  Elle entendit aussi parler d'un homme, presque un dieu dans leurs bouches, un

    bienfaiteur qui serait aussi justicier, beau, fort, brillant...Une légende...

    C'est ce que Lala comprit : un être idéal n'existant que dans les rêves.

     


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  • Ces gens là, vous allez peut-être les reconnaître, au travers des racontars et des allusions...

     

     Monsieur.

     

    Ces gens-là, Monsieur, ils avaient un si grand appartement. Si beau aussi.

    Situé dans le meilleur endroit de la galaxie. C’est ainsi que se nommait leur quartier.

    Quel admirable appartement ils avaient, ces gens-là, Monsieur !

    Un sol magnifique : dessous, du marbre et des pierres de grand prix.

    Dessus, de riches tapis de soie ou de laine épaisse que leur avaient fait leurs serviteurs.

    Car ils avaient de nombreux serviteurs empressés, Monsieur, ces gens-là,

    Les serviteurs étaient venus d’eux-mêmes les aider.

    Un échange d’intérêts : ces gens-là connaissaient des moyens d’attirer ainsi ceux qui étaient

    friands des miettes qu’ils laissaient.

    Ils savaient mettre à l’abri des dangers les êtres qui leur donnaient de leurs talents.

    Ils se réchauffaient mutuellement lors des grands froids, les uns procurant des abris, les autres

    donnant leur chaleur et partageant leurs ressources.

    Mais, Monsieur, ces gens-là connaissaient trop de choses et ont grugé leurs serviteurs volontaires,

    qui s’en rapportaient à eux de bonne foi.

    Ces gens-là, Monsieur, orgueilleux et méprisants, se sont pris pour des maîtres.

    Ils se sont proclamés seigneurs.

    Ils ont même inventé le droit divin, à partir de livres qu’ils ont eux-même écrit, qui leur donnaient

    pour mission de dominer et exploiter tout ce qui vit.

    Et ces gens-là, Monsieur, c’est de cette façon qu’ils habitaient un si bel appartement assez grand

    pour y abriter tous ceux qu’ils asservissaient, et assez solide pour empêcher les autres d’en

    profiter. Ils empiétaient sur le domaine de tous les autres, les inutiles — disaient-ils— et les

    nuisibles ils les tuaient.  Oui, Monsieur.

    Alors,  Monsieur, ces gens-là avaient la place pour de plus grands appartements encore, avec

    encore plus de serviteurs un peu écrasés.

    Et ces gens-là accumulaient, dépensaient sans compter, vraiment sans compter, Monsieur, et sans

    s’occuper s’ils mangeaient les ressources des autres.

    Ils ne laissaient pas grand chose à leurs serviteurs, Monsieur.  Juste, tout juste le nécessaire. 

    Ils croyaient que tout leur était dû.

    Ils avaient oublié qu’eux seuls avaient écrit la loi des livres sacrés.

    Ils croissaient, multipliaient, dominaient comme c’était écrit.

    Ces gens-là,  Monsieur, il y en avait partout, et beaucoup.

    Ils tiraient de leurs serviteurs de plus en plus, les épuisant.

    Savez-vous, Monsieur, ces gens là allaient chercher sous les tapis de laine et de soie, parmi le

    marbre et les pierres de grand prix des ressources imprévues que leur malignité, qu’ils nommaient

    intelligence, savait transformer en gadgets à la mode qu’ils s’arrachaient.

    Et pour ce faire, Monsieur, ils laissaient leurs serviteurs de toujours mourir de toutes sortes de

    manques et d’intoxications.

    Leur appartement, à ces gens-là, changeait d’aspect, Monsieur.

    Les tapis s’abîmaient sur le sol percé de toutes parts. Les serviteurs, réduits en esclavage ou

    victimes de la toxicité de l’air de l’appartement peu entretenu , mourraient, ou se transformaient

    en machines. Ils ne travaillaient plus pour faire plaisir, mais avec l’idée de sauver leur peau.

    Ces gens-là, Monsieur,  avec cette façon de tout prendre et de tout transformer, étaient devenus

    nombreux. Bien trop nombreux pour se nourrir soi-même et faire creuser le fond de leur  cave

    pour trouver encore de quoi faire fabriquer les gadgets qui les rendaient fous par des

    gadgets-fabricants.

    Encore plus fous, ils sont devenus. Oui Monsieur.

    Alors, Monsieur,  ces gens-là, qui voyaient pourtant leur si bel appartement dévasté, attendaient.

    Qu’est ce qu’ils attendaient ?

    Que leur appartement redevienne comme avant, leur air respirable, que ressuscitent les serviteurs

    morts faute de soins et tous ces inutiles éliminés sans vergogne puisque ne leur rapportant rien.

    Ces gens-là, Monsieur ils attendaient...

    Ils attendaient peut-être un autre appartement, dans un autre quartier de la galaxie, ces gens-là...

    Ils jouaient avec leurs gadgets en rêvant de voyages intergalactiques, dans leur appartement

    rongé de tous les bords, servis par des gadgets que bientôt ils ne pourraient plus construire.

    Ils étaient pleins de nostalgie, ces gens-là, Monsieur

    Ils étaient pleins d’utopie, ces gens-là, Monsieur

    Ils n’avaient rien compris, ces gens-là, Monsieur

                                                                         FIN


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  • Votre miroir a-t-il bonne opinion de vous ? c'est important !

    Car lui vous connaît bien .

     

    Réflexions de miroir.

     

    Ah ouiche ! Flattes-moi, à présent !

    Après tout ce que tu m’as fait ! Et ça n’date pas d’hier !

    Dans les bras de ta mère, toute petite, tu faisais la moue devant moi, prête à pleurer !

    A peine plus grande, tu ne me faisais pas confiance ! Tu me soulevais pour voir si, derrière moi,

    il n’y aurait pas quelque chose de mystérieux, une autre petite fille intriguée...

    Ta curiosité a failli me décrocher, cette fois-là ! J’en frissonne encore.

    Tu as vite cessé de te poser des questions à mon sujet, mais chaque fois que tu passais devant

    moi, que de grimaces as-tu pu m’adresser ! Tu me tirais une longue langue rose, tu fronçais ton

    nez court et me roulais de gros yeux...ou bien, cachée derrière tes longs cheveux tu me criais

    Hou ! en apparaissant subitement... Avais-tu un autre visage, à cette époque, que ces horribles

    grimaces variées qui étaient mon quotidien ? Si c’est le cas, je ne l’ai pas connu.

    Plus tard, ce fut une courte période d’indifférence. Tu passais très vite devant moi, tête baissée.

    Tes préoccupations semblaient ailleurs. Avais-tu des préoccupations, alors ? Le chat...ta poupée ?

    Tu me l’as présentée, cette poupée nommée Josette. Tu la câlinais, lui baisais la bouche, les joues,

    lui parlais... Il avait bien de la chance, cet amas de plastique et de chiffons. Pourtant, que te

    donnait-il en retour ? Que voyais-tu dans ces faux yeux riboulants que tu regardais avec amour ?

    Tu m’as retrouvé. A nouveau tu grimaçais devant moi, souvent. Souvent aussi, tes singeries se

    transformaient en minauderies, en essais de sourires divers, en simagrées, toujours terminées

    par un tirage de langue moqueur, que je prenais pour un au-revoir-à-la-prochaine !

    Et la prochaine se déroulait de même, un peu plus longtemps chaque fois...

    Mais tu aperçus quelques défauts, des points noirs, des boutons...

    Ce fut ma pire époque ! Tu appuyais sur ces points d’où sortaient des matières blanchâtres, tu

    excitais ces boutons devenus purulents. Plusieurs fois je fus souillé par des jets de pus...Quelle

    horreur ! Et ta tête lors de ces pratiques masochistes : laide ! simiesque ! déformée !

    involontairement cette fois. Ce n’était plus le visage moqueur enlaidi pour rire, mais une

    caricature de gamine qui se torture.

    A la même époque, je remarquais tes coiffures invraisemblables, tes frisottages, les couleurs

    insolites posées sur le blond admirable de tes cheveux bizarrement tailladés de mèches courtes

    ou longues... Et ça se succédait interminablement ! Tu me quittais pour revenir, un temps plus

    tard, encore plus déplorable, encore plus grotesque ! Des journées entières !

    Enfin tes essais devinrent plus harmonieux. Tu cessas de triturer d’improbables  pustules,

    d’ailleurs en partie résorbées... Un remède, peut-être ? Ton visage s’affina, différent bien sûr de

    la frimousse qui m’insultait sans cesse, mais avec un autre charme potentiel... Dont je ne profitais

    pas, car tu m’adressait toujours des grimaces en passant, des clowneries, des mimiques

    fabriquées...J’aurais aimé te contempler au naturel... Je n’ai jamais pu.

    Je pénétrais pourtant ton intimité, alors ! Tu te maquillais, désormais ! Ceci nous unissait.

    Matin et soir, régulièrement, tu t’approchais bien près de moi, munie de tout un attirail soi-disant

    nécessaire...C’était encore pire ! Les mimiques que peut réaliser une femme absorbée par son

    maquillage sont encore plus comiques que celles que peut inventer une petite fille moqueuse !

    Et que je t’écarquille de grands yeux, bouche ouverte, pour y passer du noir, du bleu, du brun !

    Et que je te fais la bouche en cul-de poule, suivi d’un rictus très large pour peindre tes lèvres

    assouplies, et que je te présente un profil, puis l’autre au pinceau touffu chargé de poudre, en

    tendant la peau , et que je te recommence avec les yeux et la bouche béants, pour les cils,

    cette fois !

    Après, il y a ce petit coup d’œil furtif satisfait, un court instant, puis vient la grimace  moqueuse,

    inévitable et finale. Ai-je pu te contempler parée, sereine ? Jamais ! Ce qu’ont pu voir, admirer

    peut-être, tous tes petits amis et tant d’autres m’a toujours été refusé.

    Je te retrouve parfois plus tard, pressée. Tu rectifies ce que le temps, la chaleur, parfois le

    chagrin a détérioré. Ce ne sont que brefs regards mécontents, coups d’œil critiques, retouches

    nerveuses à coup de pinceaux et de houppette. Tu es pressée et contrariée, plus grimaçante que

    jamais. Je ne te laisse pas partir de bon cœur, quand c’est ainsi !

    Au coucher je te retrouve, fatiguée, le visage ravagé, pour ton démaquillage et tes soins du soir.

    Parfois, ça va très vite et tu m’accordes à peine un regard. Parfois tu t’attardes et tu ressembles

    à un immense point d’interrogation. Tu fais fonctionner tous tes traits en une sorte de gymnastique

    faciale, tu tartines tout ça de crème grasse, parfois nous allons jusqu’au masque verdâtre, et

    c’est pire que tout. Heureusement que nous sommes seuls, toi et moi, dans ces moments-là !

    Et tu ajoutes parfois des petits sachets sur tes yeux, pour faire bonne mesure !

    Depuis l’époque de la fillette curieuse qui lorgnait mes arrières au péril de ma vie, j’ai un peu

    subi les outrages du temps. Quelques reflets ambrés ternissent mon éclat. J’ai une sévère ébréchure

    à droite, (donc à ta gauche, petite étourdie !) dans mon biseautage décoratif (car j’ai quelque filiation

    vénitienne, n’est ce pas) et mon pourtour est beaucoup moins net.

    Malgré l’âge, j’ai bien remarqué que tu me présentes désormais une partie de toi que je n’avais

    jamais vue, et qui enfle de jour en jour !

    Je sens là un mystère qui n’en est pas un pour toi, peut-être, mais qui, je le sens, t’épates plus

    que moi.

    J’ai aussi remarqué quand tu as apporté des morceaux de papier peint, de tissu... du rose,

    d’abord, du bleu ensuite. Tu as fait des effets, des comparaisons... puis un jour, on m’a décroché

    et mis au coin. Heureusement pas longtemps. J’ai retrouvé mon clou dans un camaïeu de mauves

    tendres inattendu, et tu es venue me regarder, moi. Pas ton reflet en mon sein, non. Moi. J’étais

    fier : on ne me regarde jamais vraiment, on se regarde. Mais j’ai eu peur, car il n’y avait pas

    qu’aménité, lors de cet examen critique.

    Tu m’as ôté, mis au coin à nouveau, en pénitence, plusieurs jours ! J’étais au désespoir !

    Puis j’ai retrouvé ma place, orné d’une cordelière neuve...Calé différemment, je reflète à présent

    un berceau, et tu me visites tous les jours. Plus de grimaces. De la tendresse dans ton oeil

    humide. Tu contemples ta silhouette imposante, presque plus ton visage. Et, obéissant au poète,

    nous « regardons ensemble dans la même direction » celle du berceau qui attend.

    Un miroir réfléchit, tu le sais. Le fruit de ma réflexion va changer Ce n’est peut-être plus toi qui

    va me faire des grimaces, à présent...tu seras trop occupée, trop sérieuse...

    Une nouvelle vie va commencer, que j’attends avec tendre impatience. Des pleurs, des momeries,

    des simagrées, des sourires peut-être ? des baisers...qui sait ?

                                                                              FIN

     


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  • 2  nouvelles courtes :

    1 La vie : parfois étrange et on est dépassé...

     L’inconnue

     Elle était assise à mon bureau, appliquée à taper sur mon ordinateur..

    J’étais pourtant entrée bruyamment dans l’appartement réputé vide, jetant mes clés sur la table,

    expédiant mes chaussures et mon sac dans le couloir, au plus près de la porte de ma chambre,

    pressée de noter l’idée qui m’avait squatté l’esprit tout l’après midi. C’était une sorte de poème,

    qui chantait bien et m’obsédait pour le moment. Je me savais capable de l’oublier, demain.

    Malgré tout ce remue-ménage, l’inconnue continuait à taper tranquillement. Elle n’avait pas même

    pas tourné la tête à mon entrée tonitruante.

    Malgré l’obstacle des longs voiles soyeux et noirs dont elle semblait enveloppée, je n’avais pas

    douté un instant qu’elle fut femme. Un je-ne-sais-quoi dans l’épaule,  quelque chose dans la

    position de la jambe sur laquelle reposait la soierie, le port général du buste...

    Mais que faisait cette inconnue chez moi ? J’aurais dû être affolée. Pourquoi gardai-je ce calme,

    cette empathie ?

    Elle portait une espèce de capuchon sur sa tête penchée, dont les bords n’étaient pas attachés.

    Il ne paraissait pas que son costume ait quelque chose à voir avec les housses dont se revêtent à

    notre époque, certaines femmes musulmanes. Pourtant, les mains de l’inconnue, qui couraient

    toujours  sur les touches du clavier, restaient invisibles, masquées par de longues et larges

    manches. Portait-elle des gants ?

    J’étais fascinée par le tombé extraordinaire de l’étoffe dont elle était enveloppée. Ces manches,

    en particulier,  auraient dû la gêner. Elles  suivaient gracieusement son toucher rapide.

    Immobile et sans réaction, j’enregistrai ces observations, évidentes et pourtant dépourvues de

    sens. Ma tête s’était vidée de toute pensée. Je ne réagis pas plus quand la femme se leva, me

    montrant toujours son dos. Elle était d’une stature au-dessus de la moyenne et d’un port élancé,

    la grâce de ses gestes et de son maintien semblaient innés. Je ne sais comment elle réussit à

    passer devant moi sans que je visse ses mains, ses jambes, ses pieds. Elle semblait glisser

    au-dessus du sol malgré tapis et plancher glissant et gardait sa tête baissée. Je ne pus voir son

    visage quand elle passa si près de moi, laissant un sillage au parfum d’humus.

    Elle gagna la porte et je commençais à recouvrer mes sens engourdis jusque là.

    Alors elle se retourna et rejeta sa capuche. Seulement là, mon sang glacé la reconnut : rien

    qu’un squelette.

    La Mort, la Mort est venue chez moi et m’a frôlée !

    Elle murmura d’une voix rauque : Je reviendrai.

    La porte se referma très doucement, sans déranger la profonde stupéfaction où cet épisode

    m’avait plongée.

    Ce n’est qu’un moment après que, vivante à nouveau, je me précipitai sur mon ordinateur.

    Il était éteint, comme je l’avais laissé en partant travailler. Désemparée de ne plus trouver trace

    de ce qui, pourtant, était arrivé, le jetai un regard affolé autour de moi.

    Une feuille dépassait du berceau de l’imprimante. Je l’empoignais et lus quelques mots du texte

    imprimé.  Je dus m’asseoir pour continuer de lire : 

    « Elle était assise à mon bureau, appliquée à taper sur mon ordinateur...

    J’étais pourtant rentrée bruyamment dans l’appartement réputé vide, jetant mes clés sur la table,

    expédiant mes chaussures et mon sac dans le couloir, au plus près de la porte de ma chambre,

    pressée de noter l’idée qui m’avait squatté l’esprit tout l’après midi. C’était une sorte de poème,

    qui chantait bien et m’obsédait pour le moment. Je me savais capable de l’oublier, demain.

    Malgré tout ce remue-ménage, l’inconnue continuait à taper tranquillement. Elle

    n’avait même pas ...  »

    Tout était là et le texte se terminait par : 

    « Je reviendrai... »

                                                                    FIN

     

    2 La vie : d'autres fois cruelle et on se prend à aimer ça

    Le sourire

     Sous la lune froide, une fille laide veut traverser le pont . Elle avance. Le bois vermoulu cède.

    Dans un craquement sinistre le pont s’effondre.

    La lune éclaire la fille épouvantée accrochée, là, à une poutre déchiquetée.

    Un beau garçon perçoit ses cris.

    Un nuage voile la lune. Le garçon cherche, ne la trouve pas.

    L’eau glacée court  sur les rochers pointus.

    La fille se tait. A bout de forces elle va bientôt lâcher.

    La lune dévoilée montre la fille affolée.

    Le garçon voit sa laideur, sa situation désespérée. Hésitant il la hèle :

    — Tiens bon ! Souris ! Je viens ...

    La fille laide sourit

    Le garçon s’enfuit

                                                                FIN

     


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