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Peut-on compenser une perte vitale en en créant de toutes pièces une entité réaliste et originale ? De chair et de sang ?
Enfin, presque .
Le fantasme
La chambre de Julie provoque l’étonnement de tous ses visiteurs.
Au débouché du couloir chaulé de la vieille demeure campagnarde, lorsque s’ouvre la porte matelassée
comme celle de l’étude d’un notaire, ornée de son motif clouté qui dessine une sorte de pentacle,
un lieu sombre et luxueux se dévoile.
Des torches tenues par des bras de bronze jaillissent du néant et n’arrivent pas à répandre une
lumière qui se noie dans les murs d’astrakan noir. Seuls, l’un des côtés et le plafond, laqués d’un
grenat sombre et brillant, accrochent quelques reflets de cette riche lumière gaspillée.
Le pied foule une moelleuse moquette noire sur laquelle sont jetés des tapis de soie aux tons
fondus d’un éclat sourd et terne.
Un halo lumineux, mangé par tout ce sombre entoure des lampes, dispersées au ras du sol,
avec des coussins et des fourrures.
Le lit, une sorte d’estrade basse, en alcôve, gainée de grenat, laisse luire faiblement draps et
oreillers de satin noir, derrière une courtepointe de dentelle noire voilant un satin ponceau.
La même dentelle recouvre et juponne une coiffeuse terriblement féminine, garnie de nombreux
accessoires de toilette noirs et or.
Toute la lumière qui peut s’évader des pièges sombres qui l’environnent est renvoyée par un
grand miroir ancien, cerné d’ors patinés.
Lorsqu’en gagnant le centre de la chambre, ce miroir devient visible, on est pris de malaise
devant l’étrange effet d’optique qui rend profonde la perspective du décor dans son reflet,
paraissant boire les ondes lumineuses.
C’est une manière de privilège d’avoir accès à cette chambre rare. Julie occupe seule ces lieux
— son domaine— qu’elle a voulus, conçus, réalisés.
Julie vit, avec son compagnon, dans une salle commune avec une vieille cheminée de pierre,
entre des buffets ventrus et des coffres séculaires ou dans une bibliothèque aux profonds
fauteuils, aux rayons abondamment garnis d’ouvrages fatigués, lus et relus; et quand le couple
se retire pour plus d’intimité, c’est dans la chambre d’Alexandre, un élégant camaïeux de roux et
de fauves fleurant le santal ; une grande baie y donne sur un coin privilégié de nature ;
la lumière y entre à flots
C’est Julie qui a organisée, et en grande partie exécutée la restauration de cette ancienne maison
de forgeron, et tous leurs amis se sont accordés pour louer la réussite de l’opération.
L’unanimité s’est faite, surtout, sur la vie qu’elle a su apporter à son cadre, la gaieté et la
distinction qu’elle a conféré aux objets et aux lieux.
Cependant, les rares initiés qui ont contemplé la chambre de Julie, après s’être extasiés sur
l’originalité et le luxe de cette réalisation, se taisent.
Inconsciemment, ils sentent un hiatus entre ce qui est en deçà et ce qui est au-delà de la porte
de cuir.
Julie est une belle femme, à la présence chaleureuse et forte, d' une superbe prestance, dotée
d'un étrange regard qui semble orangé sous ses grands cils de brune. Ce n’est pas une vraie
beauté que ce port de reine et ce regard d’ambre, mais c’est plus que ça, surtout si, derrière,
paraissent une profonde intelligence, une sincérité absolue, une empathie vigilante.
Julie n’a pas d’âge et semble une femme qui n’est plus jeune, ne sera jamais vieille.
Il paraît indécent de la situer dans le temps.
Lorsque Alexandre l’a rencontrée, elle revenait d’un long séjour au Maroc, sans attaches,
sans famille, sans enfants… On aurait dit sans souvenirs.
Elle possédait cette maison retirée, abandonnée depuis longtemps, où dormaient quelques beaux
vieux meubles et pas mal d’araignées.
Le métier d’écrivain d’Alexandre s’accommodait de l’isolement de la propriété. Ils s’y installèrent
et y vécurent en bonne harmonie.
Le bonheur ? Alexandre l’avait laissé dans une voiture déchiquetée, au milieu des débris de sa
jeune femme et de ses deux enfants tendrement chéris.
Julie lui avait apporté le seul bonheur qui pouvait maintenant lui rester : la sérénité.
Une chaude tendresse aussi, qui faisait du bien à son cœur amputé.
On ne remarquait que peu de miroirs chez Alex et Julie. Simplement des objets «techniques »,
éclairants, pivotants, grossissants, dans les salles de bains et cabinets de toilette, et des glaces
utilitaires aux portes des armoires et des garde-robes, à côté de la brosse et du chausse-pied.
Julie, peu maquillée, ne se repoudrait, ne recoiffait ses cheveux que le strict nécessaire à sa vie
habituelle.
Le soir, regagnant sa chambre, elle s’asseyait à sa coiffeuse, nettoyait sa peau pour la nuit, et
s’installait dans son coin favori, sur des coussins, pour écouter de la musique en brossant
longuement ses cheveux.
*
Alexandre doit partir…
Ayant groupé diverses obligations en un minimum de temps, il doit se rendre à Paris pour dix
jours. Cela est inévitable et se produit de temps à autre. Ordinairement, Julie l’accompagne,
ou bien va passer quelques jours chez leurs meilleurs amis, dans le village voisin.
Mais c’est l’hiver, les amis sont à la montagne, et l’emploi du temps d’Alexandre se prête peu
à sa présence, du moins à son confort.
Le couple ayant dîné au coin du feu de bois termine une douce soirée dans la chambre d’Alexandre,
dont la valise attend, sur le tapis.
Plus tard, Julie, frissonnante, quitte le nid douillet des bras d’Alex pour aller dormir chez elle.
Elle songe à la vitalité qu’elle tire de ces contacts, comme si de toucher cet homme la nourrissait
de forces neuves. Depuis presque dix ans, ils ne se quittent pas…
Julie se glisse dans le satin lisse et froid de son lit, qui se réchauffe quand elle pense à la chaleur
d’Alexandre. Calme et sereine, elle s’endort.
*
Alexandre est parti depuis trois jours, Julie a trouvé une merveilleuse occupation en classant des
feuillets qu’il remplit un peu au hasard des mille réflexions qui lui viennent. Il faudrait organiser
cela en journal, et peut-être en tirer quelque chose. Elle relit divers passages. Quel appui que ce
compagnon, et comme Julie serait lasse sans lui.
Il faut faire une promenade, prendre l’air. Il n’est pas bon de rester confinée à la maison.
Le temps menace et peut-être, demain, les sentiers boueux seront-ils désagréables. Julie se
chausse pour la marche et suit le sentier de la forêt.
A son retour, il lui semble que le feu de bois qu’elle allume ne parviendra jamais à la réchauffer…
Tiens, ça y est, il pleut.
Julie cherche dans la bibliothèque un livre ami, un de ceux que l’on connaît bien et dans lequel on
va faire un tour comme en pays familier. Aucun ne la tente vraiment, le choix s’avère difficile.
Elle monte chez elle, met de la musique et tente de mettre en marche la magie du bouquin.
Rien ne se produit, hélas... Et ce froid !
Hier sont venus des amis. Julie n’avait jamais tant remarqué que ce sont des amis d’Alexandre,
et que, lui absent, une drôle de petite gêne s’insinue entre eux.
Alex téléphone souvent et sa chaude voix anime Julie pour un moment. Puis elle retombe dans
une rêverie brumeuse. Elle s’est trouvé un travail prosaïque et refait la tapisserie d’une paire de
fauteuils. Le travail avance bien, sans satisfaire Julie, qui termine et range machinalement son
matériel. Pas faim. Pas d’énergie. Lasse, tellement lasse…
... Et froid, froid, froid !
Julie monte à son refuge, sa chambre. Elle allume toutes les lumières, les torches brandies par les
bras de bronze, les lampes au sol, celles de la coiffeuse…
Comme sa mine est étrange dans ce miroir où file toute la lumière… Julie examine l’image qu’il
renvoie : son visage, d’abord, bizarrement dissymétrique. Elle regarde plus attentivement le reflet
de la chambre : le noir profond ressemble au néant, la partie laquée du mur donne l’impression
d’en jaillir et de s’avancer dangereusement derrière elle.
Les globes brandis par les mains de bronze sont maintenant en forme de gouttes, leurs pointes
convergent en direction du miroir, comme s’ils étaient emplis de lumière et que celle-ci fuie en
longs rais fins vers un trou noir, au centre, reflet du mur d’astrakan.
Et le panneau laqué progresse toujours, il va la pousser…
L’espace rétrécit. Talonnée, Julie avance ; la lumière des deux appliques latérales atteint ses yeux
orangés. Des reflets en jaillissent alors et vont aussi converger vers le vortex dévoreur de lumière, au centre du mirage.
Le visage de Julie est tellement proche de la surface glacée. Elle va y appuyer sa joue, sa tellement
grande lassitude, ce froid qui l’habite… Se reposer…
Il n’y a pas de surface glacée. Plus de lassitude, ni de froid non plus.
Il n’y a plus rien.
Alexandre, rentrant de Paris un jour plus tôt que prévu, trouve le feu allumé, les portes ouvertes,
des lumières partout.
Visitant chaque pièce, au fur et à mesure il les éteint, et monte l’escalier qui conduit aux chambres.
La sienne aussi est éclairée, ses manuscrits sont classés en ordre sur sa table.
Il suit le mur chaulé et se dirige vers la porte de cuir noir… Il l’ouvre sur un grand miroir cerné
d’ors patinés, se détachant sur un panneau d’astrakan noir. Devant, une simple tablette garnie de
quelques accessoires de toilette noirs et or.
Julie… JU…LIE….
Au matin, Pierre et Alice sont au chevet d’Alexandre, anéanti, qu’une piqûre calmante achève
d’endormir.
Alice raconte à Pierre les propos incohérents de leur pauvre ami :
Il appelait Julie ! Julie ! …Tu lui connais une liaison avec une Julie, toi ? Et il parlait sans arrêt
de la chambre noire, de la porte de cuir… Crois-tu que ce soit celle du placard où il y a cette
toilette noire et or ?
Pauvre Alex ! …Un homme qui vit seul depuis si longtemps…ça lui sera monté à la tête, sûrement!
FIN
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Bref, voici quelques brèves:
Brève de comptoir, d'abord
Brain storming au café du coin
Jules : Bébeeert, ma bièèère!
Bébert : Jules, tu bois trop... la méningite te guette
Un client(à part) : Pour faire une méningite, faudrait avoir des méninges.
Jules : Bébert, bouge-toi! Ma bière, l'est en panne ?
Bébert : ça vient, ivrogne!
Jules : Hé! Ho! Hé!, C'est pas d'l'orangina ! La s'coue pas, ma bière. Tu n'es pas délicat, Bébert!
Bébert : Jules, je vois des nuages noirs au-dessus de ta tête Tais-toi ou y aura de l'orage !
Jules : Bébert, une autre !
Bébert : T'as assez bu, rentre chez-toi, c'est fini.
Le client : Bébert, t'as entendu ? Quand il bouge, ça clapote: il est plein.
Bébert : De bière, oui. Et quand il démarre sa mob, il mousse !!!
Brève rencontre
La belle et le baladin
Le baladin à la main baladeuse tendit l'autre joue quand arriva la gifle
retentissante qu'il avait méritée.
Il rédigea une ballade pour la belle afin qu'elle pardonnât bellement.
Il la lui lut, elle lui sourit.
La joue en feu, il offrit ses lèvres et Ses lèvres les rejoignirent.
Et sous le baldaquin continua la ballade de la belle et du baladin.
FIN
Brève semaine
Création
Je n’ai pas d’hippopotame à colorier mais j’ai quand même pu finir un zèbre, un caïman,
une sauterelle et deux girafes. Je suis é-pui-sé.
Demain, c’est Dimanche : repos.
En considérant tout ce travail accompli, je me dis que c’est bien.
C’est très bien.
C’est bien mais...
Il manque... j’avais pensé... Il manque un détail. J’avais une idée...
Recru de fatigue, ai-je oublié ? Je ne sais plus ce que c’est. Ah oui !, j’avais mis de côté
un peu d’argile.
Modeler, maintenant ? Oh ! juste une ébauche. Demain, c’est sûr, je me repose.
Voyons cette argile. Qu’en faire ?
Oui, à peu près comme ça. Là !
Debout. Ça tient ?
Pas très joli, mais nouveau, comme style. Oui ! Je sais. La tête est trop grosse.
Tant pis, ça ira comme ça.
Je le laisse brut de couleur, le soleil s’en chargera... Je suis si las.
Six jours de travail intense.
J’ai commencé par la lumière... Je termine par ce... cette...créature mal fichue.
Pas brillant. Bah ! je vais l’améliorer d’un souffle.
Et après, dodo. On verra bien ce que ça deviendra...
Oh ! Ahhh !... Bonne nuit ma création !
Brève enfance
Viol d'innocence
Il a bien fallu. Il a bien fallu que je regarde ce film X. Ils étaient tous là,
je ne pouvais pas m’en aller, ils se seraient fichus de moi.
Grosse envie de partir. C’était laid, écœurant, horrible à certains moments.
Alors, voilà ce que c’est que l’amour, l’amour des princesses et des chevaliers
des contes de mon enfance. Les Princes charmants ont aussi ce gros machin à
enfoncer dans ma bouche, dans toutes mes ouvertures ?
C’est ça, la vie de femme qui m’attend ? Tous les garçons ricanaient en se frottant,
en faisant dresser la même chose que sur l’écran. Certains avaient honte, on le
voyait. Mais ils continuaient.
On est tous repartis avec des attitudes bizarres. Ces images me hantent,
accrochées à mes yeux qui les ont regardées
Et là, en entrouvrant la porte de sa chambre, ma sœur et son petit copain,
en train d’essayer de faire la même chose, entre son doudou et Tintin,
sa peluche rose !
J’ai mal au cœur Je crois que je vais vomir. Je ne veux pas devenir grande.
Je ne veux pas le faire.
Je veux rester une enfant et n’avoir jamais vu.
Fin
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On a calomnié Néanderthal !
On en a fait un être hideux, puant et sale, alors qu'il sait séduire et qu'il est délicat. Vous riez ?
Demandez à la jolie Tia, qui appartient, elle, au clan des hommes modernes.
LOA
Comme l’eau au pays des contes...
Les mots, le temps, les situations, les caractères coulent, enjoués, frémissants,
Profonds ou simplement quotidiens, ils sourdent, petite tache humide, ou jaillissent en flot puissant.
Toujours grossit le ru, le ruisseau, le fleuve ;
Les ruisseaux et les fleuves vivent au soleil, sous les ombrages… Presque tous. Celui-ci,
ainsi que les autres, prend vie et puissance. Son sort cependant n’est pas commun.
Sur son parcours, quelque faille l’engloutit, et c’est au noir pays souterrain qu’il étale ses beautés.
Ignoré, il bâtit, il sculpte, fabrique des diamants, des géodes. Goutte-à-goutte naissent des
stalactites pressées de rejoindre la stalagmite avec qui se fabriqueront des colonnades, des draperies,
des merveilles.
Il creuse des vasques, élève des cathédrales, ménage de délicieux nids tapissés de cristaux, cernés
de passementeries scintillantes.
Des siècles, des millénaires passent tandis qu'il parfait son oeuvre secrète, inviolée, au cœur des
ténèbres.
... Rhan et Tia s’aiment. Ils ne le savent pas, ne comprennent pas la force qui les a poussés à fuir
chacun son clan pour courir l'un vers l'autre et chercher un nid pour accomplir quelque chose
qu'ils sentent mais ne conçoivent pas.
Le clan de Rhan est différent de celui de Tia.
Rhan est différent de Tia.
Pas seulement parce qu'il est un mâle. Il est beaucoup plus grand, plus large que les mâles du clan
de Tia. Son front proéminent est orné de sourcils broussailleux qui montrent sa détermination.
Ses vastes mâchoires le rendent terrible, mais lorsqu'il sourit on a envie de s'abriter contre sa large
poitrine. C’est ce que veut Tia, et qu'elle fait aussitôt.
Rhan est séduit par la petite taille de Tia, sa confiance, sa blondeur. Elle ne ressemble pas aux femmes
de sa race et cela lui plaît.
Il aime son petit corps blotti, son odeur de feuillage, son joli menton volontaire.
C'est l'eau qui les a réunis. Le fleuve.
Rhan observait depuis plusieurs jours ces hommes étranges qui avaient investi un abri de la falaise.
Leur allure gracile éveillait chez lui plus de curiosité que de peur ; ils mangeaient, dormaient,
couvraient et ornaient leur corps, faisaient du feu, cuisaient parfois des viandes, s'en allaient boire
et se baigner exactement comme ceux de son clan.
Mais ils ne faisaient rien de tout cela de la même façon. Voilà pourquoi Rhan mettait tant de passion
à les observer. Il les avait suivis au bord du fleuve, en se cachant derrière les feuillages. Là, il avait
été ébloui par la grâce de Tia qui se baignait et estomaqué de voir les jeunes de la horde attraper
à pleines mains des poissons dans les trous sous l'eau. Et ces poissons gluants, ils les cuisaient et les
mangeaient ! Jamais Rhan ni aucun des siens n'avait mangé ces bêtes aquatiques, à peine les
avaient-ils remarquées.
Il repéra à quel moment ce groupe avait l'habitude de venir au bord du fleuve et ne manqua aucun de
ces rendez-vous.
Il avait compris qu'on pouvait manger des poissons ... Son attention se reporta presque uniquement
sur la gracieuse Tia.
À force d'observation, de plus en plus rapprochée, il advint l'inévitable moment où Tia resta seule au
soleil, au bord de l'eau, soigneusement enduite de terre pour se sécher, ses cheveux étalés autour
d'elle sur la pierre tiède. Il utilisa toutes ses ruses de chasse pour approcher ce tendre gibier sans
lui donner l'éveil, se fit humble et petit, ses deux mains en coupe pleine de baies en offrande.
Elle accepta le cadeau sans manifester aucune crainte. Il lui décocha son sourire ravageur et ils se
levèrent de concert pour aller s'asseoir à l'ombre, sous le couvert des buissons.
Les rencontres perdurèrent. Rhan apprit les joies de l'eau, le goût des poissons... Et comprit qu'elle
préférait cacher leur intimité à sa horde. Peu lui importait. Il planait.
Vint le moment de chercher un abri pour deux. Elle le dirigea adroitement vers le côté de la falaise
le plus éloigné de l'habitat des siens.
C'était dommage, car c'était le côté où il n'y avait plus de rivière. Elle disparaissait brusquement
il ne savait où.
Ils se glissèrent dans une anfractuosité tapissée de sable. L'exiguïté des lieux leur convenait.
Cependant, Tia, curieuse, tendait l'oreille vers un murmure émanant de la paroi rocheuse.
Elle contourna une grosse pierre et sourit à la chanson qui en provenait. Rhan était sur ses talons.
Son sourire lui suffit : il fit rouler l’énorme pierre, dévoilant un sombre couloir.
Sombre oui, mais rempli de la musique de l'eau : gargouillante, frétillante, cascadante.
Sur le devant de la falaise, ils avaient allumé un feu pour cuire un poisson.
Tia, qui savait comment transporter le feu, emporta quelques braises bien protégées et ils se glissèrent
dans le couloir. Là, au moins, aucun jaloux de la tribu de Tia ne viendrait les déranger.
Une fraîcheur humide régnait dans les ténèbres. Ils firent quelques pas de plus le long de la paroi
suintante et soudain, plus de paroi, plus d'humidité, moins de fraîcheur. Et la chanson de l'eau
envahissante, omniprésente. La faible lueur des quelques brandons ranimés par leur souffle se perdait
dans une nuit immense. Mais quelques étoiles furtives parurent au ciel de cet endroit bizarre. Et la
rivière chantait toujours. D'un même élan, ils reculèrent dans leurs propres pas et retrouvèrent la
lumière.
Le soleil déclinait. Rhan ramassa tout le bois qu'il put trouver et le porta vers l'intérieur, vers les
brandons encore rouges.
La grande flamme qui en jaillit trouva son reflet dans l'eau calme et tout fut illuminé fugitivement.
Ils étaient émerveillés.
Ils se lovèrent dans un creux de la roche et Rhan, jusque là arrêté dans ses élans de mâle par la
déroutante fragilité de sa compagne, réalisa à plusieurs reprises l’union dont il rêvait depuis que
le soleil et l’eau lui avaient révélé Tia... Et il se rendit compte que sa compagne, non seulement
acceptait ses élans mais les appréciait et y apportait tout son concours.
Ils vécurent cette inoubliable nuit au milieu des splendeurs que la variation des flammes révélaient
par bribes à leur vision aiguë de chasseurs cueilleurs, dans la douceur d’une égalité de température
dépourvue de vent ; ils se baignèrent à plusieurs reprises dans cette eau courante et fraîche,
hôtesse de leur fantastique palace.
Cette nuit de l’eau changea le monde. Tia, issue des hommes nouveaux fraîchement arrivés par petits
groupes de terres lointaines, conçut et enfanta des oeuvres d’un homme dit « de Neandertal ».
La petite fille naquit dans la grotte où elle avait été si joliment conçue, au bord de l’eau qui devint son
deuxième milieu, avec l’obscurité qui lui était si familière.
En ces temps lointains où l’on ne pérorait pas, on n’en communiquait pas moins ses admirations et
ses sentiments, on portait des ornements, comme ça, pour se faire plus séduisant, on vivait l’instant
présent sans spéculer ni accumuler... on communiquait sans paroles avec sa famille, la nature et les
animaux, que l’on admirait sans doute, pour leur force, leur puissance et leur habileté à survivre.
Loa, fille de Tia, de Rhan et de l’eau souterraine, jaillie de l’obscurité de la caverne hospitalière suscita
un sentiment nouveau fait de vénération inconsciente et d’une bizarre sensation de nouveauté.
Issue de deux races, elle n’appartenait à aucune.
Elle ne devint pas une déesse, parce qu’on ignorait qu’on put en idolâtrer, mais la conscience naquit
d’un « autre chose » menant vers le concept d'un «au-delà ».
Loa, fondatrice du «Peuple de l’eau et de la nuit », fait partie de nos ancêtres, qui nous ont dirigés
vers un peu plus d’humanité.
Nous avons tout perdu de cette naÏveté, de cette instantanéité, de ce plaisir de vivre.
Et nous souillons l’eau aussi bien que l’obscurité. Nous perdons le mystère de la nuit à coup d’éclats
rivaux du soleil et la vie interne de l’eau à qui nous avons volé ses pouvoirs secrets en lui volant
le temps qui lui est nécessaire.
Oh ! Loa ! Pardon...Pardon!
FIN
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Mon apprenti reporter, Louky fait ses armes en Afrique.
Les réalités rattrapent sa candeur
L’eau
Il fait chaud. Un vent de feu intermittent soulève des tourbillons de poussière. Elle est partout,
pénètre toitures et murs mal joints, elle sèche les gorges, les yeux, le nez, la peau.
Amy et Diouf sont partis au point d’eau, avec le bidon de presque 20 litres. Ils vont revenir,
mais il faut attendre, c’est loin. La fillette est frêle, mais dure à la marche.
Elle doit faire ses 7 kilomètres les jours d’école pour y aller, et revenir en courant, vite,
pour s’occuper des petits frères.
Louky tend son micro à la femme accroupie sur le seuil
— Diouf est encore petit, mais il faut voir comme il est fort, celui-là. Il remplace déjà son
frère qui a trois ans de plus.
Son frère est en apprentissage, il ne vit plus chez nous.
Ils vont revenir, mes deux petits, avec le lourd bidon d’eau, bien rempli et je pourrai préparer
à manger pour toute la famille, nous boirons et je pourrai laver le petit dernier, mon bébé,
en faisant attention de ne pas user trop de cette eau précieuse.
J’ai préparé un récipient de plastique. On versera dedans l’eau boueuse pour que la boue tombe
au fond. Ça fera de la bonne eau claire pour boire. Mais je crois que je n’attendrai pas et en
prendrai un peu comme elle sera, et les autres comme moi. Les petits reviendront fatigués,
mais ils auront bu aussi, et se seront lavés. Pourvu que des grands ne les empêchent pas,
ne leur fasse pas de mal. C’est pas toujours calme, au point d’eau. Il y a souvent de la bagarre.
Mais les petits sont malins. Ils savent éviter les coups. Pourvu qu’on ne les fasse pas trop attendre
non plus. Les plus forts se servent en premier, et presque tout le monde est plus fort que mes
deux petits.
Oh, cette attente ! Et ce vent de feu, cette chaleur lourde ! Encore de l’orage, mais il ne pleuvra
pas. Nous les verrons passer, les gros nuages noirs, mais ils crèveront là-haut, sur les montagnes,
tellement loin !
Que c’est long ! Je ne sais pas s’il va téter du lait ou du vide, mon petit Bouni, mais au moins,
il tète, lui. J’ai soif.
Les voilà ! Oh ! Tu boites mon enfant ?
Donne ! Il n’est pas plein ! Qu’est-il arrivé ? Des grands ? Ils ont fait un trou ? Un caillou pointu ?
Où ça ? Et comme elle est sale ! Bon, ça ne fait rien, je vais réparer. Mais il faudra retourner
demain, y’en a pas assez…
J’ai laissé Ma et ses enfants se débrouiller de leur bidon percé et de l’eau rare et boueuse.
Ma fera quand même la bouillie du soir, un peu moins, car il n’y aura pas l’eau nécessaire.
Mon reportage est bouclé, j’ai quelques photos, et je n’ai plus qu’une demi-bouteille d’évian.
Il est temps que je rentre à l’hôtel.
Une douche pour me dépoussiérer, un plongeon dans la vaste piscine… Et puis il faut que je passe
aux toilettes.
C’est combien de litres, la chasse d’eau déjà ?
En faisant ce geste machinal, l’image se superpose de ces deux enfants de la brousse traînant
un bidon d’eau boueuse percé sur le dessus, attentifs à ne pas en renverser plus !
J’ai seulement fait mon travail, pour mon journal qui a retenu l’hôtel où en quelques minutes,
j’ai dû utiliser l’eau claire qui aurait réjoui un village entier !
Je ne me rendais pas compte !
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Un long poème tout en alexandrins pour votre week end
Mais pas très classique !
C'est vrai, la vie est dure, alors il a trouvé de quoi la rendre plus jolie:
Une bouteille et un tire bouchon, ça fait plop et le voyage commence
PLOP
Première rasade .(savourée)
Dans la vaste forêt sauvage j’ai assisté,
Ravi, au solennel mariage des écureuils.
Aguichante, la jolie mariée était en blanc,
Pour témoin elle avait agréé un chevreuil.
Une tour de noix cirées était la pièce-montée.
Enflammée, la noce réussit un triple-ban.
Aux mariés réunis j’ai présenté mes vœux
Pour que longtemps, longtemps ils soient heureux.
Deuxième rasade (longue) A la santé des mariés !
Parcourant une allée, après, j’ai découvert
Un nid d’éléphants blancs, tout roussi, tout branlant
Où deux éléphanteaux pépiaient : coui…coui…coui…
Conquérants, trompe en l’air, perchés au bord du nid
Hardis, prêts à l’essor, coachés par un pivert.
Discret, je ne les ai pas dérangés. D’autant
Qu’un trio de cigognes a rythmé la chanson
(Clik clik clik), d’un groupe de gibbons… pas très bons
Un peu jazzys, à demi crooners du vieux temps.
Nostalgie ! Nostalgie des musiques d’antan !
Troisième rasade
Sous un haut champignon mi beige, mi marron
On donnait rien moins qu’ l’opéra d’quat’sous. Bon.
Polly fut jouée par une fauvette, Makie, c’était une belette,
Des insectes divers figuraient les mendiants
Ils y développaient, c’est vrai, tout leur talent
Les grenouilles, en tapins, se montraient impayables !
Des brigands siégeaient tout autour de la table
(Leur roi avait laissé sur la nappe des miettes)
Ce fut un gros succès, car il y avait foule
Et la vedette était, pour une fois, une poule.
Quelle grande ovation, quels applaudissements !
Pour ce morceau de choix : le Roi des Claquedents.
Plus loin, dans un berceau au silence voué
Un palais merveilleux, tout en toiles d’araignées.
Beau travail d’architectes, fascinant de beauté
Grandiose, illuminé de gouttes de rosée
Scintillantes et nacrées. Un doux zéphyr passa
Qui les fit tintinnabuler. Gentil concert
Où personne ne chantait. Dommage ! Le papa
Des lapins poètes, écrivait en solitaire
Ses vers luisants, sur feuilles rousses et dorées.
Un vieux loup le guettait, fatigué et pelé,
Edenté, porté à l’indulgence, il était
Malgré lui devenu bon en raison du régime.
Quatrième rasade (clapement de langue)
Un parfum suave de miel me prit par la narine :
Dans le creux d’une souche cernée d’un vol en rond
Des abeilles partageaient tout leur bien aux oursons
Et les mères empressées en faisaient des gâteaux.
La fragrance m’inspirait, j’ leur fis mon compliment.
On m’offrit un morceau. Je l’ai mangé tout chaud
Un régal délicieux qu’on ne goûte pas souvent
Cinquième rasade (A la vôtre !)
Plus loin, surgit une cabane de branchages
Un fou y résidait, ne disant pas un mot
Il y vivait tout nu et les bêtes sauvages
Venaient le recouvrir de leurs ventres bien chauds
Lui ? Il distribuait des câlins. Il faut bien s’entraider !
Sixième rasade (sébile Ding! Merci pour lui )
Un cortège apparut au détour d’un hallier
Des cerfs enrubannés tiraient de grandes branches
Couvertes de rouge gorges, de geais, de passereaux
D’alouettes et de merles, de pinsons, bref, d’oiseaux.
Tout ça chantait en chœur et de leurs ailes blanches
Des ramiers soutenaient en donnant le tempo.
Leur chanson s’élançait, chacun criait : bravo !
Suivait un charivari marrant. Des caïds,
Toutes sortes d’animaux, d’insectes et batraciens,
Menés par un grand chien bizarre, un dalmatien.
A chacun sa démarche saccadée ou fluide
A chacun sa dégaine et tous se trouvaient beaux
(Les crapauds avaient même vérifié au ruisseau.)
Présumés infinis, ces bois aux mille merveilles
Diminuaient à mesure que s’vidait ma bouteille…
Septième rasade et fin de la bouteille (le ton change)
Pour finir bêtement en station de métro
Où la foule alourdie de boulot sans dodo
S’éloignait pour laisser gentiment au clodo
L’accès au coinstot-à-bibi pour y dormir au chaud
Ourdissant ses rêves de brins phénoménaux
Tellement plus beaux que... leurs maigres châteaux.
FIN
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