• Zyxor.

     

    Le « Dernier Homme » du monde était assis, seul dans une pièce ; quand on frappa à la porte, fataliste, il haussa les épaules.

    Dernier ! Au Classement Mondial des Hommes, il était le dernier.

    Oui, ils avaient inventé ça. Comme il y avait la femme la plus belle de l’univers, le mâle le plus musclé. Concours international

    démocratique et obligatoire. Défilés, interrogatoires, quiz, présentations, psychanalyses, tests de survie...  Il y aura des gagnants.

    Et des perdants.

    Il faisait partie de ces perdants, le dernier de la liste.

    Pas surpris, il se nommait Zyxor, et figurait toujours à la fin de toutes les listes.

    De physique ingrat, sans plus, il avait l’esprit d’escalier. Il lui fallait du temps pour mettre en ordre ses pensées profondes et nombreuses.

    Quand sa répartie était prête, plus personne ne l’écoutait.

    Sans méchanceté aucune, il éprouvait de la sympathie pour tous les autres, ses concurrents, et de l’indulgence pour ceux

    qui lui marchaient dessus pour être les premiers.

    Ses réponses à tous les questionnaires étaient  inattendues, originales, creusaient et détournaient les questions.

    Forcément, il pratiquait des contresens incompris.

    Avec les femmes, il était béat, il les adorait tellement qu’il les fuyait, pour les débarrasser de sa présence qu’il jugeait encombrante.

    Il cherchait et trouvait souvent pourquoi  les méchants, les violeurs, les assassins étaient devenus ce qu’ils étaient.

    Il le démontrait si bien que tous ceux-là étaient mieux appréciés que lui.

    Enfin sa pâleur et sa transparence, tout le mal, tout le bruit,  tout le scandale qu’il ne faisait pas le firent oublier et glisser vers

    cette place ultime qu’on venait de lui signifier.

    Mais un remue ménage troubla soudain sa méditation résignée.

    Une meute de journalistes et de photographes se bousculait pour obtenir la faveur insigne d’une interview exclusive

    du Dernier Homme, bien plus intéressant  que le deuxième, le troisième et les cadors du top dix.

    L’un d’eux, ancien reporter sportif, expliquait la façon dont les derniers du Tour de France se disputaient la place de lanterne rouge,

    l’avant dernier étant le vrai perdant.

    Alors, pour la première fois de sa vie, il fut fier de lui.

    Trop tard, il tomba dans la médiocrité des gens célèbres


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  • C'est une série de 3 textes sur le même incipit (la phrase du début)

    Voici le premier

     

    Impossible !

     

    Le dernier homme du monde était assis seul dans une pièce ; quand on frappa à la porte, il ne répondit pas, sachant que c’était impossible.

    Sa mémoire lui jouait un tour, c’était évident.

    Il revit l’apocalypse tranquille qui avait éteint le genre humain et à laquelle il avait échappé ; l’interférence totale, le bug absolu et définitif

    des ondes affrontées aux pixels, aux bits, à tous ces artefacts  auxquels était assujettie  la survie humaine.

    Allergique aux ondes depuis quelques années, il vivait pour s’en protéger au fond d’une forêt, au fond, même, d’une grotte profonde

    décorée d’aurochs et de mammouths. Il s’y ennuyait un peu, mais se sentait protégé par l’âme de ses ancêtres si présente en ce lieu.

    Muni du nécessaire sur le modèle des cosmonautes, il vivait tranquille et autarcique. Il mit un moment à se rendre compte de l’absence

    de ses congénères. Plus d’avions, plus de fond sonore permanent, plus d’aura lumineuse pour éclipser les astres et les étoiles,

    redevenus stars du ciel.

    Le silence profond servait d’écrin aux chants des oiseaux, au murmure des ruisseaux, au fracas des cascades  et aux cris des tragédies

    animales.

    Alerté, il se risqua, protégé par des vêtements adéquats, à rejoindre la ville qu’il n’entendait plus vivre au loin. Enfourchant son VTT,

    une inquiétude serrant son cœur, il aborda les faubourgs déserts et silencieux, se rapprochant du centre ville d’ordinaire grouillant de vie.

    Englué dans un silence de cauchemar, il avançait dans le royaume de la Belle au bois dormant. Stoppé en pleine activité, portes ouvertes,

    voitures en ordre de circulation aux portières béantes, magasins garnis prêts à accueillir la clientèle, toute vie était absente.

    La panique avait dû faire fuir la population vers je ne sais quel but, car aucun cadavre, squelette, vestige humain ou animal ne polluait

    cette solitude. Seul, devenu maître de la ville et de toutes ses richesses abandonnées, il était le dernier homme au moins de cette région.

    Comme il ne pouvait se renseigner sur le reste du monde, il pensait bien être le dernier homme sur cette terre. Les traces visibles de la présence humaine semblaient assez anciennes. En témoignaient la dégradation des matériaux, l’épaisse couche de poussière déposée sur toute chose, l’ardeur de la végétation à reprendre ses droits, la

    vitalité des araignées emmaillotant chaque objet dans leurs pièges, tout concourait à démontrer l’ancienneté de la tragédie des hommes.

    Alors, assis dans le fauteuil du Maire, sous les ors de la République restés chatoyants, face à Marianne esseulée, comment croire

    qu’on put frapper à la porte ?

    Et pourtant ! Un gratouillis discret mais insistant réitéra. Bêtement, il répliqua : entrez tout en se moquant de ses réflexes antiques.

    Stupeur ! La poignée joua sans ouvrir. Cette fois alerté, il alla libérercette porte dont il avait machinalement tourné la clé.

    Une adorable petite personne rose se montra, bizarrement accoutrée de fanfreluches et de dentelles. Figés sur place tous deux,

    n’osant croire à une présence, ils finirent, au-delà du temps passé dans la solitude, par retrouver leurs manières civiles et se présentèrent

    — Adam Solal, bonjour. Entrez. Vous êtes ravissante.

    — Je suis Eve Constanza. Merci. Ainsi, vous êtes vivant ?

    Il se pencha en gentilhomme sur la petite main potelée de l’apparition rose, qui en rosit davantage.

    Ils étaient tellement sidérés qu’il faut leur pardonner.

    Un temps passa.

    Assis tous deux dans les fauteuils dorés devant le bureau du Maire, ils se racontèrent les raisons de leur survie. Eve, écartée du monde pour

    les mêmes raisons que lui : hypersensibilité ou allergie, n’aimait pas du tout son nécessaire exil forestier. Quand vint le silence, elle se douta

    très vite de quelque chose et parvint en ville bien plus tôt qu’Adam.

    Merveille ! Tous ces magasins pleins à craquer des plus jolies choses, des plus coûteuses, sans cerbère pour les garder !

    Sans plus de questions, et pas incommodée puisque toutes ondes nocives avaient disparu elle se livrait depuis ce temps à une débauche

    de shoping, changeant de vêtements à toute heure du jour, usant les miroirs qui lui octroyaient la meilleure compagnie, la sienne.

    Tout de même lassée, elle commençait à ressentir le poids de la solitude, manquant de regards flatteurs.

    Attendri par sa candeur, Adam regardait sa compagne sans y croire. Bien qu’esthète, il finit par trouver jolie cette petite boule rose

    aux cheveux hirsutes, aux petits yeux vifs et noirs de souris dépourvue de menton et portant, à la place du nez, un petit bourgeon teinté

    de rouge tendre, qu’on aurait dit prêt à fleurir.

    Elle avait dès lors apprécié cet échalas maigre, tout de noir vêtu, qui la regardait avec de gros yeux globuleux et trop clairs.

    Elle aimait déjà ces lèvres minces qui, à l’abri  d’une longue lame de couteau  lui tenant lieu de nez, avaient prononcé « ravissante »

    en parlant d’elle.

    Méditant chacun leurs pensées, ils avaient laissé s’installer un long silence Puis, ensemble :

    — Eve ?

    — Oui Adam...

    — Serions-nous les derniers humains ? Nous, un homme, une femme ! Adam... et Eve ? Voulez-vous, avec moi, refonder l’humanité ?

    — Oh, Adam !

    Elle le conduisit chez le grand joaillier de la ville. Elle y avait repéré des alliances merveilleuses, mais n’avait osé en sertir son doigt, à cause

    du symbole.

    Le serpent, embusqué, secoué de rire, relut son rôle de tentateur, puis le jeta.

    — Inutile !

    A demain pour le 2, Zyxor

     

     

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  •  La barbe que ce confinement !

     La barbe est à la mode.

    De la barbe aux barbus, il n'y a pas loin,

    Donc, voici , en parallèles, deux vies bien différentes de personnages "au poil  "

     Barbus

     

    Un petit homme en costume étriqué, barbe noire, lorgnon et chapeau melon.

    Son ventre rondelet lui confère un certain prestige. Sa famille, fille longue et frêle étiolée, garnement en culottes courtes et genoux couronnés

    et femme imposante, sérieuse au point de ne plus rire, en sont illuminés. Le petit homme sert la nation avec son porte-plume d’acier et son goût du classement.

     

    Un homme dégingandé, voûté comme Gulliver scrutant Lilliput, muni d’une barbe de paille, tressée pour  la partie centrale,

    attachée avec un fin lacet rouge. Il est célibataire, cependant père d’un bambin de six ans, rêveur, épris de départs et de liberté.

    Les mères forment un harem autour du gosse et il faut bien toute une société pour récupérer ce fugueur à peine retenu sur la terre.

    Le Viking est un patriarche intermittent. Il rentre à la ferme communautaire juste quand il faut pour assumer les travaux marquants,

    y imprime sa force et sa seigneurie, honore les lionnes de son harem et ajoute du rêve aux rêves de son enfant.

    Puis il s’envole sur son cheval d’acier vrombissant pour des équipées improbables dont jamais il ne rend compte.

     

    Bien des vicissitudes et trois générations séparent ces deux barbus, ces deux hommes, ces deux humains.

     

    Quand il se lève tôt pour partir au ministère, Le petit homme brun troque sa longue et chaste chemise de nuit rayée pour

    une chemise blanche fraîchement repassée par son impeccable compagne. Il est en sous-vêtements de coton 

     quand il soigne sa barbe légèrement bouclée. Il la peigne, la nettoie, la parfume, rectifie son tombé soyeux à l’aide de quelques coups de ciseaux.

    Depuis quelques temps, il la scrute, inquiet, de plus près. C’est qu’il a déjà dû arracher deux fois un poil blanc surgi au milieu de sa noirceur.

    Il enfile alors sa chemise blanche et ajuste le haut faux col  dur et la cravate sobre qui vont assister son autorité. Son pantalon et sa veste

    ont un certain âge et n’ont pas suivi son épanouissement, ce qui cause cet effet de rigidité étriquée qui le sert si bien dans ses fonctions.

    Avant de partir, il doit consulter l’emploi du temps de sa fille pour ce jour ordinaire, remettre l’argent des courses à son épouse et tancer

    son fils turbulent pour ses frasques à venir. Pour celles commises hier, c’est déjà fait.

     

    Quand il est présent à la ferme le géant blond à la barbe tressée commence sa journée par un comportement d’ours mal léché.

    Tout le monde est au courant et le laisse attacher ses cheveux, abondants, longs et libres, lisser sa barbe, et boire son bol de café avec six sucres.

    Après ça et quelques instants plus tard, c’est le plus charmant des hommes. Il cajole son fils qui attendait impatiemment la fin du rituel,

    lutine tendrement ses trois femmes et se prépare pour le travail de la ferme. Il rentre une récolte en un rien de temps,

    répare des murettes sans même y penser, retourne une pièce de terre en moins de temps qu’il faut pour l’écrire, le tout sans s’arrêter

    même pour manger des casse-croûte qu’il engloutit sur place. Il boit l’eau de sa source avec un plaisir évident. Il mène ainsi son train

    jusqu’à l’heure fatidique. Dix huit heures sonnantes. Alors il file à la douche et ressort de la salle de bains transformé. C’est un seigneur

    vêtu de beaux atours exotiques et bariolés, soigné et parfumé, les mains couvertes de bagues... La maison retentit soudain d’une musique

    raffinée et, stylées, ses femmes, elles aussi splendidement vêtues l’attendent auprès d’une table rutilante de cristaux et d’argenteries baroques. 

     On sert un repas plantureux, on boit, on rit beaucoup, le seigneur fascine en racontant de belles histoires que son fils écoute et croit et

    dont ses femmes, moins naïves, admirent l’invention et le renouvellement.

    La soirée est consacrée à la danse, aux rires, puis, quand le garçon s’est écroulé d’un sommeil peuplé de rêves merveilleux et que son père

    lui-même l’a couché avec maintes douceurs et manifestations de sa tendresse, la soirée devient langoureuse, amoureuse, enfiévrée.

     

    De retour chez lui, le "mari idéal selon son siècle" raconte à sa femme les menus incidents de sa journée au ministère, l’avancement

    de ses espérances de promotion ou ses inquiétudes à ce sujet. Il l’amuse en racontant les bourdes du garçon de bureau, ce à quoi

    elle renchérit en racontant celles de la femme de journée ou les pataquiès de Madame Grevel, sa victime favorite. Il visite sa fille,

    penchée sur sa broderie qui n’avance guère tant elle rêve, et lui enjoint de continuer. Les rêves ou la broderie ? Nul ne sait. Il jette un œil

    distrait sur le cahier mal tenu de son garçon. Ce soir, pas de bêtise majeure, pas de correction.

    Tant mieux car Monsieur doit sortir.

     Un passage à la salle de bains ajoute une touche d’eau de Cologne « Cuir de Russie » à sa barbe repeignée. Il a troqué son col

    trop sévère pour une cravate nouée plus confortable et sort avec un léger baiser à son épouse, mais sans une explication.

    Comment pourrait-il expliquer qu’il s’en va pousser son avantage auprès d’une jeune femme peu farouche récemment rencontrée ?

    Elle offre peu de résistance, mais il s’emberlificote tout seul dans des complications qu’il croit nécessaires. Ses  sens, au fond,

    restent en repos, mais il s’excite de sa situation d’amoureux transi tout en pensant aux deux poils blancs de sa barbe.

    Il remplit sa mission de chef de famille, il ne doit pas se complaire auprès de sa vertueuse femme, il doit avoir une vie privée,

    malgré le tintouin qui peut en résulter et la nostalgie qui le prend de ses charentaises et de son journal.

     

    Dix jours se sont passés à la ferme. Le garçon n’a pas quitté son père des yeux, de loin, de près ou dans ses rêves.

    Pas la plus petite velléité de fugue jusqu’à hier. Ce matin, il est introuvable.

    Il a peut-être vu, hier, son père préparer l’avenir sur des plans affichés dans le bureau... ou bien a-t-il trouvé l’ambiance subtilement tendue ?

    A-t-il remarqué la liberté rendue à la barbe blonde, qui n’est plus tressée, ou bien la sobriété inattendue des vêtements de Papa l’a alerté ?

    L’odeur du cuir noir et de la moto aux chromes rutilants l’a interpellé peut-être ? Les trois femmes, alertées, sont à la recherche du fugueur.

    Elles savent bien que, quand elles rentreront, bredouilles ou pas, il n’y aura plus de seigneur à la maison. Le repas sera sobre et frugal, vite fait.

    Il y aura parfois des musiques, dansantes et modernes, sans grandeur. Les obligations de la ferme seront assurées, dans le temps normal

    qui leur est imparti.

    Rien d’important ne leur reste à assumer. Tout est magnifiquement en ordre, avec des réserves pleines pour un temps qui

    sera plus ou moins long.

    Sait-on.

    Leur entente tacite, un instant mise en danger, se rétablit avec les habitudes reprenant le dessus. Leur tendresse mutuelle mettra quelques jours

    avant de se manifester, mais elle n’y manquera pas.

    Mais où est donc notre voyou chéri, notre petit prince rêveur ? Une douce inquiétude envahit leur triple cœur de mères et elles redoublent

    d’astuce pour dénicher l’enfant, mussé dans du foin, en train de vivre pour de vrai les aventures incroyables que raconte son Roi.

    Il en a un stock impressionnant, assez pour attendre, du moment qu’il trouve un petit coin caché où nul ne les lui dérobera. C’est son trésor.

    Des cachettes aussi, il en a un gros stock, en prévision. Son territoire ne cesse d’augmenter. Mais maintenant, il est grand,

    il sait que Papa reviendra.

    Et ses trois mamans aussi.

     

    Il y a eu, il y a, il y aura des barbus de par le monde.

    Il y a eu, il y a, il y aura de par le monde des petits mâles humains employant mille moyens d’affirmer leur autonomie

    par toutes sortes d’enfantillages parfois dramatiques en guettant le développement de leur système pileux,

    garant de leur royauté, comme les lionceaux attendent leur crinière.

     

     

     


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  • J’aime bien participer à un atelier d’écriture. J’écris souvent, et je n’y cherche pas des raisons d’écrire. J’aime seulement d’autres idées, d’autres contraintes, d’autres tournures d’esprit qu’ont les autres participants. En les découvrant, j’ai l’impression de mieux connaître mes lecteurs. Il faut aussi, pour que l’exercice me plaise, des buts pas trop alambiqués, des visées raisonnables.

    Voici un petit texte issu de ce genre d’exercice.

    Le thème général  était le thé

    La contrainte était ,en restant dans le thème, d’inclure les mots tirés au sort. Les miens : téléportation, ténu, thérébentine, témérité

     

    Le thé de Ka

    C’est avec témérité que Ka goûta le thé que lui offrait Julie. Après la téléportation qui l’avait mené parmi nous, Il était resté un moment amorphe, puis tentait de participer à la vie commune.

    Ce petit être grêle aux membres ténus était plutôt docile, conciliant. Il goûta de bonne foi, mais ne put conserver le liquide parfumé. Il le recracha le plus poliment qu’il put dans la tasse.

    Julie, désolée, lui offrit de l’orangeade, dont l’odeur l’indisposa, du café, qui manqua de le faire fuir.

    — Mais que puis-je te donner , l’eau ne te plaît pas... As-tu vraiment soif ?

    Un grand mouvement de tête confirma : il avait soif.

    — Que veux-tu ? Montre-moi ce qui te ferait plaisir

    Les joues du petit bonhomme rosirent, entre ses grandes oreilles expressives. Ses yeux brillèrent.

    Il fonça sous l’évier, dans le placard, tout au fond, et désigna une bouteille : thérébentine.

    — Ce n’est pas possible, ça ne se boit pas !

    Ka eut un geste gourmand vers la bouteille, la prit et s’en versa un grand verre qu’il huma avec délices. Il leva son verre à notre santé comme un vrai pilier de bistrot et s’enfila sa rasade toxique avec un claquement de langue satisfait.

     

    Ouf, j’ai terminé dans le temps imparti et enfin pu introduire cette thérébentine incongrue.

     

    Un degré de plus, cette fois.

    Une dispute entre amis prenant le thé, mais en employant dix mots obligatoires comportant deux fois la lettre T 

    Tartare, tartine, tantinet, tirette, étrangeté, tatouage, gazette, titan, tantrisme, antiquité.

     

    — Holà, toi , le Tartare ! Toi, la gazette du pays ! Que connais-tu du tantrisme ? Avec de la confiture ?

    — Non merci.. Pourquoi cette étrangeté ? Tartare, moi ?

    — A cause de ces tatouages dont est recouvert ton corps de Titan. Tu as vu grand ! Tu en as mis une tartine !

    — Hé ! bois-donc du thé un tantinet moins corsé, tu deviens intolérant ! Passe-moi donc le sucre, là, sur la tirette. Alors, le tantrisme...

    — Tais-toi ! Antiquité sans esprit. Merci pour le sucre. Encore ? Non ? Montre plutôt ton dos, afin de nous instruire.

    — Voilà. Tu as tout compris. Passe moi les gâteaux secs. Si tu déchiffres tous les symboles, le tantrisme n’aura plus de secrets pour toi. Humm ! Cette marque est bien meilleure que l’autre. Alors ! Tu déchiffres ?

    — Trop fort pour moi.. Tu peux mettre ta chemise et remettre un peu d’eau dans la théière. Tes décorations sont toutes abstraites. Rien à en tirer.

    — Ah !, le Tartare est plus sophistiqué que tu ne croyais ! Le tantrisme, en réalité, tu n’y connais rien !

    — Tant pis pour moi. Encore un peu de thé, Ô homme armorié ?

    — Armorié ! C’est tout, non ? Merci pour le goûter, il faut que je file... chez mon tatoueur. La suite au prochain numéro, comme on dit . Encore merci ! A plus !

     

     


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  • Cours No 11   (Extrait de Professeur OUF, encore inédit)
    HISTOIRE


    Au pied de la lettre

    C'était une très belle femme, petite mais cependant majestueuse. Elle s'appelait Berthe et vivait sur un grand pied. L'autre ne posait aucun problème.
    Partout où elle allait, son pied gigantesque la précédait, l'annonçait... Elle ne pouvait surprendre personne. La vie des hérauts d'armes et des valets du Palais en était ainsi simplifiée.
    Car elle habitait un Palais, depuis son mariage avec le "Maire du Palais".
    Elle avait donc, en sus d'un grand pied, l'oreille du Maire, le bon Pépin.
    Celui-ci, voyant pointer son orteil en provenance de Laon, où elle s'appelait Bertrade et était noble dame, fut séduit dès avant son arrivée. Il prit son pied et le reste avec.
    Le petit Pépin entra dans la vie de Bertrade, la rebaptisa Berthe et c'est ainsi qu'il devint son époux.
    Berthe au grand pied avait l'oreille du maire et probablement fut de bon conseil, puisqu'il fut sacré Roi par Boniface.
    Elle avait donc l'oreille du Roi, mais la lui rendait ponctuellement pour chaque audience...
    Pépin, quoique bref, était un homme qui avait du plomb dans la cervelle.
    Il n'est pas question là de blessure ou d'accident étrange. Il était né ainsi et déjà sa nourrice le fit tomber à plusieurs reprises, à cause du déséquilibre. Tant qu'il fut bébé, son cœur d'or équilibra un peu le poids excessif de sa cervelle. Mais en grandissant sa tête pesait si lourd qu'il se tenait le plus souvent assis, appuyant sur son bras ce fardeau.
    Un sculpteur, bien plus tard, ayant eu vent, par une indiscrétion spatio-temporelle, de cette particularité, réalisa une statue fort réussie de l' attitude favorite du roi légendaire, fondateur de dynastie... Mais Rodin, d'une excessive modestie, laissa la critique patauger quant à la véritable origine son inspiration...
    On ne peut passer toute sa vie dans cette attitude, on le comprendra. Surtout qu'il avait fort à faire : pacifier les marches de ses royaumes, gagner le pape à sa cause, enfermer le dernier mérovingien dégénéré dans un couvent... Ouf!... Aïe, ma tête! Quel boulet!
    Heureusement, un des mages du royaume féru d'alchimie arrangea pour le roi un bonnet magique.
    Les scientifiques de notre époque ont compris le principe de ce bonnet. Mais pour le roi et ses sujets la magie était certaine. Il s'agissait d'une enveloppe hermétique gonflée à l'hélium qui soutenait ainsi la tête trop lourde du roi.
    Pépin le Bref, le roi en bonnet, et Berthe au grand pied avaient tout pour laisser une belle empreinte dans l'histoire.
    Mais un jour Berthe s'arrondit et donna naissance à un fils prénommé Charles.
    Il semblait avoir une cervelle plutôt légère, un cœur de chair et de sang, et ses deux menus petons étaient de parfaits jumeaux. Pas d'atavisme donc.
    Cependant il fallut bien admettre qu'il avait deux mains gauches dont l'une était verte. Sa nounou avait beau la frotter avec toutes sortes d'onguents, elle ressemblait à un bourgeon de printemps. Par ailleurs la dévouée servante qui baignait l'enfant prenait soin d'humecter particulièrement ses petits orteils toujours nus, car il les avait en bouquet de violettes, et il fallait éviter qu'ils fanent. Moyennant ces soins attentifs, c'était un enfantelet au caractère tranquille, du genre plutôt épanoui.
    Ces signes envoyés par le ciel montrent bien, si c'est encore nécessaire, que nous avons affaire à des personnages peu ordinaires.
    Berthe, toujours sur son grand pied ; Charles, bientôt Magne, dissimulant sa main verte ; Carloman son frère, qui, modeste, se contentait d'être souvent sur les genoux, ce qui le mena finalement à abdiquer pour entrer au couvent ; et surtout Pépin, sa cervelle garnie de plomb, sa tête près du bonnet et son cœur d'or attirèrent l'attention du pape Etienne II Celui-ci, qui n'avait qu'à se louer des largesses de Pépin conseillé par ses organes insolites et sa non moins insolite compagne, sacra du Saint-Chrème les trois représentants masculins de la famille et en bénit soigneusement la représentante féminine, de profil et à gauche, car son gigantesque panard le tenait à distance... d'un certain point de vue.
    Ce fut la naissance de la dynastie des Carolingiens.
    Charlemagne enfila un gant de velours sur sa main verte qu'il tenait à l'abri dans un gantelet métallique, car, végétale, elle était bien fragile. Il géra l'héritage de son père et de son frère avec cette main de fer dans son gant de velours, si rigoureusement qu'il devint Empereur d'Occident Il choisit pour capitale Aix la Chapelle, pour la qualité de ses eaux, dans lesquelles il aimait à se baigner, dit-on.
    Nous nous doutons qu'il devait préserver de cette façon sa main verte, et ses orteils dont il devait entretenir la floraison.
    Digne fils d'un homme qui avait du plomb dans la cervelle et en fit profiter son époque, Charlemagne développa les études, créa quasiment l'école pour tenter de mettre aussi quelque plomb dans les jeunes cervelles paraissant trop légères. Il protégea ceux qui, comme Carloman son frère, sur les genoux du soir au matin et toutes les heures canoniques, préféraient prier que gouverner.
    Maintenant, au prix d'une distension formidable du temps, je voudrais vous aligner tous, Ô Famille Impériale Extraordinaire, pour vous prendre en photo... Vous êtes étonnés, bien sûr ? Non ? Vous connaissez, dites-vous, Majesté...?!!
    Alors là ! Les bras m'en tombent ! Zut, l'appareil est tombé avec...
    Juste au pied... au pied de la lettre !

     


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