• Impossible !

    C'est une série de 3 textes sur le même incipit (la phrase du début)

    Voici le premier

     

    Impossible !

     

    Le dernier homme du monde était assis seul dans une pièce ; quand on frappa à la porte, il ne répondit pas, sachant que c’était impossible.

    Sa mémoire lui jouait un tour, c’était évident.

    Il revit l’apocalypse tranquille qui avait éteint le genre humain et à laquelle il avait échappé ; l’interférence totale, le bug absolu et définitif

    des ondes affrontées aux pixels, aux bits, à tous ces artefacts  auxquels était assujettie  la survie humaine.

    Allergique aux ondes depuis quelques années, il vivait pour s’en protéger au fond d’une forêt, au fond, même, d’une grotte profonde

    décorée d’aurochs et de mammouths. Il s’y ennuyait un peu, mais se sentait protégé par l’âme de ses ancêtres si présente en ce lieu.

    Muni du nécessaire sur le modèle des cosmonautes, il vivait tranquille et autarcique. Il mit un moment à se rendre compte de l’absence

    de ses congénères. Plus d’avions, plus de fond sonore permanent, plus d’aura lumineuse pour éclipser les astres et les étoiles,

    redevenus stars du ciel.

    Le silence profond servait d’écrin aux chants des oiseaux, au murmure des ruisseaux, au fracas des cascades  et aux cris des tragédies

    animales.

    Alerté, il se risqua, protégé par des vêtements adéquats, à rejoindre la ville qu’il n’entendait plus vivre au loin. Enfourchant son VTT,

    une inquiétude serrant son cœur, il aborda les faubourgs déserts et silencieux, se rapprochant du centre ville d’ordinaire grouillant de vie.

    Englué dans un silence de cauchemar, il avançait dans le royaume de la Belle au bois dormant. Stoppé en pleine activité, portes ouvertes,

    voitures en ordre de circulation aux portières béantes, magasins garnis prêts à accueillir la clientèle, toute vie était absente.

    La panique avait dû faire fuir la population vers je ne sais quel but, car aucun cadavre, squelette, vestige humain ou animal ne polluait

    cette solitude. Seul, devenu maître de la ville et de toutes ses richesses abandonnées, il était le dernier homme au moins de cette région.

    Comme il ne pouvait se renseigner sur le reste du monde, il pensait bien être le dernier homme sur cette terre. Les traces visibles de la présence humaine semblaient assez anciennes. En témoignaient la dégradation des matériaux, l’épaisse couche de poussière déposée sur toute chose, l’ardeur de la végétation à reprendre ses droits, la

    vitalité des araignées emmaillotant chaque objet dans leurs pièges, tout concourait à démontrer l’ancienneté de la tragédie des hommes.

    Alors, assis dans le fauteuil du Maire, sous les ors de la République restés chatoyants, face à Marianne esseulée, comment croire

    qu’on put frapper à la porte ?

    Et pourtant ! Un gratouillis discret mais insistant réitéra. Bêtement, il répliqua : entrez tout en se moquant de ses réflexes antiques.

    Stupeur ! La poignée joua sans ouvrir. Cette fois alerté, il alla libérercette porte dont il avait machinalement tourné la clé.

    Une adorable petite personne rose se montra, bizarrement accoutrée de fanfreluches et de dentelles. Figés sur place tous deux,

    n’osant croire à une présence, ils finirent, au-delà du temps passé dans la solitude, par retrouver leurs manières civiles et se présentèrent

    — Adam Solal, bonjour. Entrez. Vous êtes ravissante.

    — Je suis Eve Constanza. Merci. Ainsi, vous êtes vivant ?

    Il se pencha en gentilhomme sur la petite main potelée de l’apparition rose, qui en rosit davantage.

    Ils étaient tellement sidérés qu’il faut leur pardonner.

    Un temps passa.

    Assis tous deux dans les fauteuils dorés devant le bureau du Maire, ils se racontèrent les raisons de leur survie. Eve, écartée du monde pour

    les mêmes raisons que lui : hypersensibilité ou allergie, n’aimait pas du tout son nécessaire exil forestier. Quand vint le silence, elle se douta

    très vite de quelque chose et parvint en ville bien plus tôt qu’Adam.

    Merveille ! Tous ces magasins pleins à craquer des plus jolies choses, des plus coûteuses, sans cerbère pour les garder !

    Sans plus de questions, et pas incommodée puisque toutes ondes nocives avaient disparu elle se livrait depuis ce temps à une débauche

    de shoping, changeant de vêtements à toute heure du jour, usant les miroirs qui lui octroyaient la meilleure compagnie, la sienne.

    Tout de même lassée, elle commençait à ressentir le poids de la solitude, manquant de regards flatteurs.

    Attendri par sa candeur, Adam regardait sa compagne sans y croire. Bien qu’esthète, il finit par trouver jolie cette petite boule rose

    aux cheveux hirsutes, aux petits yeux vifs et noirs de souris dépourvue de menton et portant, à la place du nez, un petit bourgeon teinté

    de rouge tendre, qu’on aurait dit prêt à fleurir.

    Elle avait dès lors apprécié cet échalas maigre, tout de noir vêtu, qui la regardait avec de gros yeux globuleux et trop clairs.

    Elle aimait déjà ces lèvres minces qui, à l’abri  d’une longue lame de couteau  lui tenant lieu de nez, avaient prononcé « ravissante »

    en parlant d’elle.

    Méditant chacun leurs pensées, ils avaient laissé s’installer un long silence Puis, ensemble :

    — Eve ?

    — Oui Adam...

    — Serions-nous les derniers humains ? Nous, un homme, une femme ! Adam... et Eve ? Voulez-vous, avec moi, refonder l’humanité ?

    — Oh, Adam !

    Elle le conduisit chez le grand joaillier de la ville. Elle y avait repéré des alliances merveilleuses, mais n’avait osé en sertir son doigt, à cause

    du symbole.

    Le serpent, embusqué, secoué de rire, relut son rôle de tentateur, puis le jeta.

    — Inutile !

    A demain pour le 2, Zyxor

     

     

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