•  

     

     

     

    A la question : les auteurs sont ils tourmentés ?

     Les auteurs, je ne sais pas, obsédés peut-être?

     Mais les poètes, parfois suscitent ces questions.

    Je me suis souvenue de ce petit poème qui gazouille de ça :

    Cantilène des joies ordinaires

     

     Dans l’ensemble, les poètes

    Préoccupés, ne font pas la fête

    Ils cultivent la nostalgie

    Le front lourd de névralgies

     

    Moi, je suis l’oiseau gris

    J’ai gobé la fourmi

    Bu la goutte de rosée

    Puis ... me suis envolé

     

    Dans l’ensemble, les poètes

    Ressassent leurs traumas enfantins

    Ils pleurent en soutenant leur tête

    Déplorant l’abandon de leurs doudous anciens

     

    Moi, je suis l’oiseau gris

    J’ai gobé la fourmi

    Bu la goutte de rosée

    Puis ... me suis envolé

     

     Dans l’ensemble, les poètes

    D’amours orageuses sont coutumiers

    Ils vont de rejets en défaites

    Pleurant sur une fleur, un parfum familier

     

    Moi, je suis l’oiseau gris

    J’ai gobé la fourmi

    Bu la goutte de rosée

    Puis ... me suis envolé

     

    Si m’en trouve UN qui mette en vers

    Les plaisirs de la simplicité

    L’immensité de la joie ordinaire

    De sentir assouvies premières nécessités

     

    Deviendrai l’oiseau de toutes les couleurs

    Banquettant des mets les plus choisis

    Abreuvé aux bulles du bonheur

    Et d’un trait...envolé dans l’azur infini

     

     


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         Hommage à  Aloysius Bertrand                                  

     

      Hommage à Aloysius Bertrand (Gaspard de la nuit)

     

    Suzon 

     

     Suzon s’en allait à Dijon

    Chercher de la moutarde

     De son pas vif la gaillarde

     Faisait danser son jupon

     

    En vue de Jacquemart et de sa Jacqueline

     Avisa sur un banc de brume en mousseline

    Une silhouette noire de poète en gésine ;

    Et le banc eut deux hôtes, le sage et la maline.

     

     Suzon s'en allait, de  Dijon   

     Savoir les secrets et les plis

     Holà, comment vous nomme-t-on ?

     Moi c’est Suzon. Je suis ravie

     

     Aloysius se nomma et la complimenta.

     Oh vous êtes poète ! Le livre désigna

     Et la petite fleur séchée qui en tomba.

     Eh bien oui, il est vrai, l’art est mon beau combat !

     

     Suzon s’en allait à Dijon

      Mais céans elle s’arrêta

      Mirant du soleil les rayons

     Elle ajouta : je reste là !

     

     Or Aloysius avait une quête à conduire

    Donc il fut convenu dans dix ans revenir 

    Ici, au soir tombant, chacun son devenir

      Ses trouvailles, sa vie, on reviendrait le dire

     

     Suzon s’en alla à Dijon

    Chercher de la moutarde

     En chemin la gaillarde

     Trouva une belle union

     

     Le poète émacié, éprouvé par sa quête

     Revint courbé, vieilli, sans esprit de conquête

     Dolent ; mais réjoui. Dieu ni diable, ni Juliette

     Personne ne connait l’Art, réservé aux poètes

      

     Suzon s’en revint à Dijon

      En  se chantant : comme il me tarde

      De  retourner, toute gaillarde

     Au réalisme d’ma maison

     

    En vue de Jacquemart et de sa Jacqueline

    Avisa sur un banc de brume en mousseline

    Une silhouette noire… Mais  la maline

    Sans regarder plus loin, chemin chemine

     

    Fort bien vu, mon amie, pour ta part

    Satan est dans la poésie, quelque part  !

     


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  • Donc, c'est fini, nous sommes en préparatifs de déconfinement. Nous allons tous reprendre nos occupations comme avant.

    Comme avant ? Hum ...

     Pour clore cette parenthèse qu'a été la production d'une histoire par jour depuis le début du confinement ou presque

    (le temps de comprendre ce qui arrivait),  voici deux textes pour la signer

    - Une ITW à laquelle je m'étais prêtée, il y a deux ou trois ans? Je ne me souviens hélas plus du nom la jeune femme dynamique qui 

    les publiait, et n'en ai plus trace.Ceci est pour mon côté auteur.

    - un assez long poème très récent vous fera connaitre mon opinion plus philosophique que sociale.

    Vous verrez qu'elle reste poétique et ne se satisfait pas de ce que nous vivons

    je pense me reposer un moment et ensuite me resservir de cet emplacement pour publier de temps en temps  un poème .

    Je le signalerai alors comme j'ai fait jusqu'ici, (à moins qu'on m'apprenne à faire mieux ).

     

    Interview décalée

     

    Si vous étiez un livre, vous seriez ?

     

    Un dictionnaire. Il y a tant de ressources inemployées dans notre langue, pour communiquer

    avec précision faits, émotions et sentiments. Quel pouvoir  formidable acquiert-on ! Traduire

    en mots, communiquer même le tissu léger des rêves !

     

     Si vous étiez un genre littéraire, vous seriez ?

     

    Je ne serais pas. Ni romancière, ni humoriste, ni poète, je me veux raconteuse d’histoires

    romanesques, teintées d’humour  et de poésie

     

    Parmi vos romans, lequel seriez-vous ?

     

    Je serais une petite virgule remuante, capable d’aller de l’un à l’autre : SDF avec Zoé, sonore

    avec Bruno de LA RIBAMBELLE, colorée avec Laure à la crinière rousse, Yvain et les lions. Je

    miaulerais avec les chats de MIAOU ! J’aiderais Nelly M à respirer et l’écrivain et le photographe

    à reconnaître la vraie liberté.

     

    Parmi vos personnages, lequel seriez vous ?

     

    Choisir signifie rejeter tout ce qui n’est pas élu. Impossible dans ce cas.

    Je suis tous mes personnages, animaux ou humains. Je suis leur créateur, ils ont mes gènes,

    nous sommes de la même chair, du même esprit, mais dans des circonstances différentes.

    Comment choisir ?

     

    Un livre d’un autre auteur que vous auriez aimé écrire. Quel serait-il ?

     

    J’aurais aimé écrire certains poèmes de Prévert, des morceaux de romans de Barjavel, de

    Romain Gary et de son avatar Emile Ajar, des réflexions de Montaigne comme de Jules Renard

    et de tant d’autres par ce que je m’y retrouve et qu’alors, je volerais si haut !

    Qui n’aimerait pas avoir écrit Les Misérables ou « mignonne allons voir si la rose », du malicieux

    Ronsard. Il y a tant de géants qui nous ont ouvert la route !

     

    Avec quel auteur aimeriez-vous avoir une longue discussion ?

     

    Avec une assemblée d’écrivains de Fantasy, de thrillers et autres fabricants de guerres des

    mondes et autres catastrophes, pour leur demander pourquoi ajouter des guerres, des

    tribulations, des catastrophes à notre pauvre monde déjà bien éprouvé. J’aimerais éliminer

    les pensées négatives, ajouter de l’espoir et du positif tant à notre quotidien qu’à nos rêves.

    Le plus nuisible des méchants de romans n’égale pas  « la vie » et les horreurs qu’elle sécrète,

    dans la réalité. La lutte pour dominer ses outrances n’est-elle pas le moteur de nos existences ?

    Il est beau de créer des mondes, mais ensuite il faut les habiter !

     

    Si une adaptation (télé ou cinéma) se basait sur un de vos romans, quel serait le

    roman choisi ?

     

    Une longue nouvelle intitulée par l’éditeur « l’envers du monde » et par moi « L’an 526 du renouveau ».

    Elle contient tout : Racisme, misère, désespoir puis séparation, consolation, initiation, instruction,

    mission... en 75 pages !

    Les héros se nomment Kader et Rebecca. Roméo et Juliette modernes, ils vivent  une terrible

    misère, liberticide, mortifère et désespérante. Au cœur de la noirceur générée par ces souffrances,

    ils tombent dans un trou noir...mangeur d’espoir et de lumière, et connaissent, au travers

    d’aventures, l’envers du monde et les êtres de lumière  qui sont notre conscience inemployée.

    Instruits par un procédé artistique et poétique qui ferait merveille, traduit en images,

    ils deviennent la lumière du Monde du Renouveau.

     

    Si vous aviez un  lecteur, face à vous, que lui diriez-vous ?

     

    Je t’aime.

    Que me dirai-il, à moi ? Il me reprocherait de ne pas chercher à plaire avec des trucs à la mode,

    à quoi je rétorquerais que la mode se démode par principe.

    Il pourrait suggérer que je vise l’infini. Modeste, je répondrais oui.

     

    Si, par magie, vous vous revoyez jeune, que diriez-vous ?

     

    Bonjour... Je me présenterais. Chargée d’expérience et d’années, je suis une autre.

    Il faudrait refaire connaissance.

     

    Si, par magie, vous voyez votre "vous" futur, écouteriez-vous ses conseils ?

     

     Oui, car mon moi futur connaîtrait l’au-delà... J’écouterais... Mais si ces conseils étaient

    contraires à la morale que toute une vie m’a forgée, je demanderais des preuves et

    éventuellement ne les suivrais pas. Le Démon est partout et sous de multiples formes !

     

    Etes-vous amie avec d’autres auteurs ?

     

     Autant que faire se peut. L’écriture est un plaisir solitaire ! Je lis mes contemporains, célèbres

    ou inconnus, avec amitié, bienveillance, a priori favorable et admiration. Parfois je suis déçue,

    autant par les uns que par les autres, d’ailleurs. Mais j’incrimine dans ce cas, l’oeuvre plus que

    l’auteur.

     

    Y a-t-il des lecteurs que vous souhaiteriez connaître (en vrai)

     

    Tous.

    Le lecteur  est une entité multiple aux multiples ressentis. Parfois, l’histoire qu’on lui conte touche

    un point sensible. Il replace alors sa propre histoire au milieu de celle que vous racontez.

    De telles distorsions ont toujours une cause. Le lecteur lit souvent son propre livre en lisant le

    vôtre, et alors les gens dont la vie est vide n’accrochent pas à vos mots.

    D’autres sont emplis d’amour pour vous, toujours pour la même cause, et votre prochaine

    oeuvre, différente, risque des les décevoir. D’autres découvrent peu à peu votre univers. Ce

    sont les fidèles, capables de tout approuver de vous. Et puis, certains parlent, d’autres sont

    muets. Moi, je les aime pour ce qu’ils ajoutent à nos livres. J’aime les rencontrer, tous.                

                                                                FIN

     

    Et si nous refusions…

     

    Puisque ceux qui se disent rois de la création

    Se trouvent à la merci d’un  petit trublion,

    Qu’un virus puisse faire autant de destruction

    Menacer sans mollir nos civilisations

    Jusqu'à légitimer des manques de libertés

    Provoquer, par besoin de tout reconstituer

     

    Qu’on nous menace encor de travail et d’efforts

    N’ayant rien demandé, n’ayant donc d’autre tort

    Qu’une grosse envie de vivre, et de vivre dehors

    D’exister librement et de faire des folies

    Il est peut-être bien arrivé le moment

    De renier les contraintes, en désobéissant

     

    La crise des hautes sphères, si nous la refusions ?

    Qu’arriverait-il alors? Est-ce que la pression

    La compétition et le stress ; la dépression

    Ne rejoignent pas, du virus, la dévastation ?

    Et si nous menions, à la fin, une vie saine

    Nous tenant éloignés des affluences urbaines

     

    En travaillant pour nous, et pas pour le Trésor

    Ni pour les parasites. Plus jamais. Nous d’abord !

    Il est fort courageux d’alimenter les siens

    Pourquoi devoir, en plus, nourrir des importuns

    Qui sait réaliser, ici-bas, des chemins ?

    Eriger des maisons, cultiver des jardins ?

     

    Bâtir pour s’abriter, fabriquer du confort ?

    Eduquer les enfants ou créer des transports ?

    C’est nous, amis, qui possédons le savoir-faire

    D’autres ont le savoir dire. On n’en a rien à faire !

    On peut, aisément, se passer de décideurs

    Il nous faudrait juste quelques organisateurs

     

    Tous égaux, pas de chefs et pas de policiers!

    Pour réussir cela, faudrait se policer

    Être honnête, penser à la communauté

    Se réformer, métamorphoser, évoluer

    Et de plein de gadgets il faudrait se passer.

    Oups, j’ai fait un beau rêve ! Utopie ! Illusion !

     

    Je connais pourtant bien la pente où nous glissons

    Pour aller, comme avant, travailler sans penser

    Trop facile d’obéir, de râler, contester

    Le rôle de victime nous colle comme un gant

    Alors, continuons ! Vive le confinement !

                                     FIN

     Tous mes textes sont protégés, c'est évident; même celui-ci, tout neuf, qui vient de l'être.

     

     

     


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  •  

     

    Attention !

    Ce texte contient, avec quelques lieux communs pompeux,  quelques obscénités bien lourdes pour la bouche qui les prononce;

    J'espère que vous apprécierez la caricature de certains romans roses (vif).

     

    Jules et la candeur

     

    — « T’es nul à chier ! »

    La délicate enfant au teint de porcelaine, aux grands yeux myosotis emplis d’innocence, arquait

    gracieusement sa jolie bouche aux lèvres délicatement ourlées sur ces mots bruts.

    — « Sacré sale con ! Va chier ! Tu peux te les carrer, tes couilles de rat ! Je courrai pas après !

    La contrariété ridait très légèrement son front pur. On pouvait percevoir, au mouvement gracieux

    de ses jolies épaules rondes, une certaine crispation.

    — « Va te faire enculer, patate ! Tu peux te la garder dans des glaçons, ta sale queue, j’y

    goûterai plus ! Nom de Dieu ! Ça ! Un mec !

    La gracieuse silhouette nimbée par un rayon de lune dressait en avant un médium vengeur. La

    lune jouait de l’éclat des diamants ornant ce symbole phallique, et ajoutait des lueurs bleutées

    à l’or de ses cheveux. Elle conclut :

    — « C’est ça ! Barre-toi, minable ! »

    Diane de Berlancourt emporta avec elle son ombre distinguée aussi racée qu’elle et se fondit un

    moment dans l’obscurité.

    Un corps allongé au milieu de cartons et de chiffons crasseux, sur la grille d’aération du métro

    dispensant une touffeur chaude et malodorante, gêna sa progression.

    — « Nom de Dieu  de merde! Quel putain de con barre mon chemin ? Quel trouduc… »

    Le monstre grondant dans les entrailles de la grande ville rugit et emporta la suite des

    imprécations de la douce enfant.

    Les cartons qui recouvraient le clochard s’effondrèrent sous l’acharnement du pied mutin de

    l’aristocratique belle, et délivrèrent l’odeur qu’ils emprisonnaient. Un mélange d’urine, de vinasse,

    de crasse tenace.

    — « Putain de con ! J’ai failli me casser la gueule ! Tire-toi ! Fils de pute ! »

    La voix cristalline de la jeune fille en fleur finit d’éveiller le clodo, éberlué, encore sous l’empire

    de son lourd sommeil d’ivrogne, sidéré  de contempler tant de grâce.

    Il bondit sur ses pieds enveloppés de sacs plastiques, et vacilla en grognant. Il racla sa gorge

    et envoya le crachat de côté.

    Il avait, contre la froidure, empilé sur ses épaules un ensemble de lainages dépenaillés et de

    doudounes incertaines dont aucun ne fermait. Son pantalon, lui, tombait sur ses fesses et la

    braguette béante laissait apparaître une turgescence violacée, peut-être le fruit de ses rêves

    avinés

    Diane ouvrait ses yeux de myosotis avec gourmandise et arrondissait ses lèvres purpurines,

    retenant une eau nacrée qui avait investi sa bouche aux dents de perles.

    Elle se jeta sans plus tergiverser sur l’objet de sa convoitise.

    Pendant que ses mignonnes joues de pêche palpitaient au rythme de son action goulue, ses

    délicates narines recueillaient le fumet de son Prince Charmant.

    De ses fines mains blanches comme des colombes, elle prenait possession de la chair porteuse

    de ce nectar et fouissait parmi les oripeaux pourris, à la recherche de zones velues où fouiller

    davantage.

    Le gueux se mit à croire aux fées, à l’Olympe dont il ignorait pourtant les raffinements, à la

    Légende dorée de tous les Saints, et tomba sur l’infâme tas de cartons et de guenilles en même

    temps que le petit corps musclé entièrement offert. La belle avait ôté prestement quelques

    grammes de précieuse dentelle griffée, et se tortillait savamment en tous sens pour indiquer ses

    préférences.

    La scène, maintenant, commande la discrétion. Nous partirons donc sur la pointe des pieds, le

    mouchoir sur la bouche, car l’atmosphère glacée est devenue torride, et exalte les odeurs.

     

     Ce matin, Diane, le plus ravissant bourgeon de la lignée de Berlancourt, élégante, fine et

    distinguée, reçoit dans l’écrin de velours de son boudoir, Gontran de Saint Merlereau, jeune

    homme timide et bien sous tous rapports. Ils sont trop jeunes encore pour être fiancés, mais

    suffisamment adolescents pour qu’il soit malséant de les laisser en tête-à-tête. Pour cette raison,

    Tante Victoria est tassée dans son fauteuil à oreilles, appliquée à sa broderie.

    Elle laisse la jeunesse discuter ensemble, et prête une oreille distraite aux compliments

    balbutiants que tente Gontran sur le frais parfum  de sa douce amie.

    Ils rendent facile son rôle de duègne.

    Elle évoque en son for intime  sa propre jeunesse, et se repent de ses péchés devant leur

    ingénuité.

    A la même heure, Jules, SDF de son état, poivrot par conviction, et poète au fin fond de son âme

    fruste et de son corps mangé de vermine envisage sérieusement les « bain douche" afin de laver

    toute la souillure qu’il sent sur lui depuis cette nuit et son contact avec une fée.

    Il se sent violé, sale et honteux. La pureté l’attire.

    Il n’a pas envie de boire le reste de son vin, et jette sur le monceau d’immondices, avec sa

    bouteille, quelques grammes de dentelle de grande marque, parfumés de Guerlain.

    Des réminiscences flashent dans sa tête et provoquent des haut-le-cœur. Il revoit l’adorable

    enfant jeter sa lubricité sur lui, prendre et donner, étaler ses appétits exubérants. La nausée

    monte et se précise.

    L’estomac révulsé, sevré d’alcool, il regarde le soleil se lever et file vers la campagne,

    avide de candeur

     


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  •  Madame Germaine (Suite et fin)

     

    —  C’est un peu tape-à-l’œil, hein ? Faudrait plus discret !

    Ahurie, je n’ai toujours rien dit.

    —  C’est à moi, tu sais ! J’suis pas receleuse !...Faut que j’t’explique. 

    Je vais me récrier, mais elle poursuit :

    —  Tu vois, c’était moi !  Elle parle timidement, émue, en désignant l’affiche.

    —  Vous étiez très belle ! Vous avez eu une carrière artistique ?

     Elle était meneuse de revue, comme qui dirait reine du monde ! Elle en a fait, des voyages !!

    Tout le monde était fou d’elle !

    —  Vous dites « elle ». Ce n’était pas vous ?

    —  Si. Moi. Mais je n’arrive plus à croire que c’était bien moi ! Quand je reste un peu ici, au

    milieu des souvenirs, j’y crois à nouveau, vaguement... Mais je dois retourner à ma guimbarde

    pour gagner de quoi manger. Comment relier les deux vies ?

    —  Vous avez des enfants, de la famille ? 

    —  Non. Simone, ma mère est morte quand j’avais quatorze ans. Alors, je suis venue vivre

    « chez  Papa »

    —  Votre père et votre mère ne vivaient pas ensemble ? 

    —  C’était pas mon père. J’l’ai pas connu... Simone travaillait « chez Papa ». Il avait un cabaret

    de danseuses légères. Il était riche. Simone était vestiaire au cabaret, puis quand elle a été trop

    vieille, il l’a prise pour le ménage, chez lui. Simone m’avait dit qu’il n’était dangereux que pour

    les garçons. Quand elle est morte, je suis allée pour la remplacer. Mais comme j’étais jeune, il a

    pensé à me faire apprendre un métier. Alors je tenais la maison le matin, et j’allais apprendre à

    danser l’après midi. Le soir, je faisais les courses, puis le vestiaire au cabaret, et on rentrait tous

    les deux.

    Il me faisait faire des trucs pas possibles, je ne dormais pas assez, mais je n’avais pas le temps

    de me poser des questions.

    Il m’a tout appris. Il m’a présentée à des tas de messieurs, qui me courtisaient et me faisaient

    des cadeaux. Mais pas question de m’approcher !

    Ils sont devenus plus nombreux, plus riches encore et je vivais dans le luxe et la facilité.

    Je croyais que les fleurs mirifiques que l’on m’offrait poussaient dans leurs jardins, j’ignorais

    que les bijoux puissent être « en vrai »...Papa m’apprit toutes ces subtilités, et à être exigeante,

    ne désirer que le plus beau. Quand il m’a jugée mûre, il a voulu me marier.

    Il y a eu une soirée, avec seulement ces Messieurs, ceux qui me voulaient.

    J’avais dû préparer pour cette occasion quelques saynètes, des chants et des danses, avec

    beaucoup de changements de costumes. Quelques uns me paraissaient osés, mais Papa, qui

    tenait tant à ma vertu, les avait approuvés. Alors !

    Mon spectacle, seule en scène, mes robes et mes colifichets retenaient mon attention et je n’ai

    pas pu voir leur manège. C’est Lisette, ma petite amie des coulisses, qui m’a tout raconté après :

    ils ont fait des enchères, assorties d’offres pour Papa qui voulait assurer son avenir. Ils se sont

    disputés, ont failli se battre ! Papa a choisi celui dont les offres lui convenaient le mieux. Le soir-

    même j’avais un fiancé.

    Il était âgé, portait des décorations discrètes. Sous une belle chevelure blanche, son visage

    poupin respirait l’innocence, la bienséance et le contentement. Un corps replet mais digne malgré

    ses rondeurs, à l’aise dans des vêtements de bonne coupe, complétait le personnage.

    Dix jours après, une grande fête eut lieu dans une magnifique salle toute dorée. C’était mon

    mariage. J’allais devenir madame la marquise. Mais aucune famille du fiancé ne venait pallier au

    manque de celle de la fiancée. Rien que nos fêtards habituels, accompagnés de demi-mondaines

    richement parées.

    On me promena en cortège au travers de magnifiques jardins, on rentra, on but beaucoup, on

    bâfra, puis l’atmosphère devint grivoise et bouffonne. Mon marquis m’emmena vers les étages,

    après que Papa m’eut embrassée.

    Le pauvre homme a eu beaucoup de mal à me dépuceler. Il me faisait peur tant il perdait sa

    respiration, devenait cramoisi, prêt à éclater.

    Il provoquait ses amis et relations en me montrant avec fierté dans les fêtes, les dîners, aux

    courses. Pour le reste il ne me fit plus grand mal, m’ayant initiée à lui procurer de petits plaisirs

    accessoires. Et puis un matin, à mon réveil, je le trouve tout froid, tout blanc et mou. Je ne l’ai

    plus revu, sa famille a récupéré ce noceur enfin assagi.

    Papa accourut.

    Sans tarder il me présenta à un puissant magnat du spectacle. J’ai repris la danse, la parure et le

    chant. J’ai appliqué à mon profit les méthodes de Papa. Dédaigneuse, exigeante et inaccessible,

    j’ai mené par le bout du nez des ducs, des rois du pétrole ou de la mafia. L’argent me venait

    facilement, repartait plus vite encore. Je n’ai jamais économisé quoique ce soit, sauf peut-être

    une somme rondelette et des bijoux que j’ai donnés à la petite Lisette, quand elle  s’est mise en

    ménage avec l’ancien pianiste du cabaret de Papa. J’ai triomphé dans toutes les capitales

    mondiales, j’ai mené un train d’enfer à mes amants comme à mes soupirants tout en ne

    négligeant pas mon entraînement pour danser et rester belle.

    Je croyais que ça durerait toujours.

    Sans rien changer à ma vie, sans compter ni les années ni l’argent, j’ai peu à peu décliné.

    Moins courtisée, parfois plaquée, on m’offrait des cadeaux plus modestes quoique tapageurs.

    De vedette je suis doucement passée simple danseuse, avec quelques remplacements pour

    conserver mes illusions. Je ne travaillais plus régulièrement. Il m’arriva de payer ma note, au

    resto ou à l’hôtel. Je n’avais plus d’agent artistique. Je cherchais toute seule des engagements

    sans savoir négocier ma gloire passée.

    On m’offrit un poste de vestiaire, un jour, et j’ai accepté parce que je n’avais plus de fric, et que

    je ne trouvais rien d’autre. Dans un cabaret de touristes. Il fallait tendre la main, insister pour

    obtenir les pourboires formant l’essentiel de ma paye !

    Je ne suis pas restée longtemps.

    J’ai vendu d’abord ma maison à la campagne. Les caisses pleines, j’ai retrouvé la seule vie que je

    connaissais. On m’a promis une tournée en Amérique du Sud. J’attendais, je faisais confiance.

    Le temps que je claque mes derniers sous, la tournée artistique s’était transformée : ne partaient

    que de très jeunes filles, même sans talent ni savoir-faire. Je n’y avais plus ma place.J’ai vendu

    mon appartement parisien pour tenir, attendant un autre spectacle, qui ne se monta jamais.

    A partir de là, ça va très vite, tu sais.

    Plus d’argent, plus d’amis ni de relations dans le monde du spectacle. On cherche un loyer moins

    cher, on se retrouve dans des quartiers paumés. On vieillit, on devient moche. C’est pas grave,

    c’est la santé qui compte. Tu imagines si je tombe malade !

    Finalement, je suis à mon compte, je dois rien à personne ! Je finis pas si mal ! Sauf ces chiens

    de flics ! Je comprends rien à leurs papiers ! J’ai pas été formée pour ça, moi !

    Elle avait vidé son sac. Ça débordait trop ! Je voyais se ranimer la gouailleuse marchande de

    quatre saisons dans le décor de la danseuse à plumes et strass.

    Une vie ! Quelle vie !

    Elle replongea dans sa malle, en tira une délicate étoffe bleue, épingla dessus une perle toute

    simple, très bien montée et me les donna, avec un large sourire édenté.

    Tiens ! Ça, c’est plus ton genre. On me les a offerts, je n’ai pas pu les porter. Il fallait que ça se

    voye, tu comprends. La perle doit être vraie, je n’ai jamais su, elle est belle, c’est tout.

    Protestant sur la valeur du cadeau, je lui suggérai de la vendre, pour se donner un peu de repos.

    — « Jamais je n’ai vendu les objets qu’on me donnait ! Je ne pourrais pas !

    Je ne veux pas connaître leur valeur. L’objet est acceptable, l’argent serait sale. Celui-ci m’a fait

    plaisir, je te le donne, car tu es une gentille fille.

    Dis, tu m’renmmène à Châteaurouge, à ma carriole ? 

    Pour descendre appeler un taxi, je soulève l’épaisse tenture cramoisie...

    —  Tu sais ce que tu touches, là ? C’est le rideau de scène de « Chez Papa »...

     

     


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