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Madame Germaine (suite et fin)
Madame Germaine (Suite et fin)
— C’est un peu tape-à-l’œil, hein ? Faudrait plus discret !
Ahurie, je n’ai toujours rien dit.
— C’est à moi, tu sais ! J’suis pas receleuse !...Faut que j’t’explique.
Je vais me récrier, mais elle poursuit :
— Tu vois, c’était moi ! Elle parle timidement, émue, en désignant l’affiche.
— Vous étiez très belle ! Vous avez eu une carrière artistique ?
— Elle était meneuse de revue, comme qui dirait reine du monde ! Elle en a fait, des voyages !!
Tout le monde était fou d’elle !
— Vous dites « elle ». Ce n’était pas vous ?
— Si. Moi. Mais je n’arrive plus à croire que c’était bien moi ! Quand je reste un peu ici, au
milieu des souvenirs, j’y crois à nouveau, vaguement... Mais je dois retourner à ma guimbarde
pour gagner de quoi manger. Comment relier les deux vies ?
— Vous avez des enfants, de la famille ?
— Non. Simone, ma mère est morte quand j’avais quatorze ans. Alors, je suis venue vivre
« chez Papa »
— Votre père et votre mère ne vivaient pas ensemble ?
— C’était pas mon père. J’l’ai pas connu... Simone travaillait « chez Papa ». Il avait un cabaret
de danseuses légères. Il était riche. Simone était vestiaire au cabaret, puis quand elle a été trop
vieille, il l’a prise pour le ménage, chez lui. Simone m’avait dit qu’il n’était dangereux que pour
les garçons. Quand elle est morte, je suis allée pour la remplacer. Mais comme j’étais jeune, il a
pensé à me faire apprendre un métier. Alors je tenais la maison le matin, et j’allais apprendre à
danser l’après midi. Le soir, je faisais les courses, puis le vestiaire au cabaret, et on rentrait tous
les deux.
Il me faisait faire des trucs pas possibles, je ne dormais pas assez, mais je n’avais pas le temps
de me poser des questions.
Il m’a tout appris. Il m’a présentée à des tas de messieurs, qui me courtisaient et me faisaient
des cadeaux. Mais pas question de m’approcher !
Ils sont devenus plus nombreux, plus riches encore et je vivais dans le luxe et la facilité.
Je croyais que les fleurs mirifiques que l’on m’offrait poussaient dans leurs jardins, j’ignorais
que les bijoux puissent être « en vrai »...Papa m’apprit toutes ces subtilités, et à être exigeante,
ne désirer que le plus beau. Quand il m’a jugée mûre, il a voulu me marier.
Il y a eu une soirée, avec seulement ces Messieurs, ceux qui me voulaient.
J’avais dû préparer pour cette occasion quelques saynètes, des chants et des danses, avec
beaucoup de changements de costumes. Quelques uns me paraissaient osés, mais Papa, qui
tenait tant à ma vertu, les avait approuvés. Alors !
Mon spectacle, seule en scène, mes robes et mes colifichets retenaient mon attention et je n’ai
pas pu voir leur manège. C’est Lisette, ma petite amie des coulisses, qui m’a tout raconté après :
ils ont fait des enchères, assorties d’offres pour Papa qui voulait assurer son avenir. Ils se sont
disputés, ont failli se battre ! Papa a choisi celui dont les offres lui convenaient le mieux. Le soir-
même j’avais un fiancé.
Il était âgé, portait des décorations discrètes. Sous une belle chevelure blanche, son visage
poupin respirait l’innocence, la bienséance et le contentement. Un corps replet mais digne malgré
ses rondeurs, à l’aise dans des vêtements de bonne coupe, complétait le personnage.
Dix jours après, une grande fête eut lieu dans une magnifique salle toute dorée. C’était mon
mariage. J’allais devenir madame la marquise. Mais aucune famille du fiancé ne venait pallier au
manque de celle de la fiancée. Rien que nos fêtards habituels, accompagnés de demi-mondaines
richement parées.
On me promena en cortège au travers de magnifiques jardins, on rentra, on but beaucoup, on
bâfra, puis l’atmosphère devint grivoise et bouffonne. Mon marquis m’emmena vers les étages,
après que Papa m’eut embrassée.
Le pauvre homme a eu beaucoup de mal à me dépuceler. Il me faisait peur tant il perdait sa
respiration, devenait cramoisi, prêt à éclater.
Il provoquait ses amis et relations en me montrant avec fierté dans les fêtes, les dîners, aux
courses. Pour le reste il ne me fit plus grand mal, m’ayant initiée à lui procurer de petits plaisirs
accessoires. Et puis un matin, à mon réveil, je le trouve tout froid, tout blanc et mou. Je ne l’ai
plus revu, sa famille a récupéré ce noceur enfin assagi.
Papa accourut.
Sans tarder il me présenta à un puissant magnat du spectacle. J’ai repris la danse, la parure et le
chant. J’ai appliqué à mon profit les méthodes de Papa. Dédaigneuse, exigeante et inaccessible,
j’ai mené par le bout du nez des ducs, des rois du pétrole ou de la mafia. L’argent me venait
facilement, repartait plus vite encore. Je n’ai jamais économisé quoique ce soit, sauf peut-être
une somme rondelette et des bijoux que j’ai donnés à la petite Lisette, quand elle s’est mise en
ménage avec l’ancien pianiste du cabaret de Papa. J’ai triomphé dans toutes les capitales
mondiales, j’ai mené un train d’enfer à mes amants comme à mes soupirants tout en ne
négligeant pas mon entraînement pour danser et rester belle.
Je croyais que ça durerait toujours.
Sans rien changer à ma vie, sans compter ni les années ni l’argent, j’ai peu à peu décliné.
Moins courtisée, parfois plaquée, on m’offrait des cadeaux plus modestes quoique tapageurs.
De vedette je suis doucement passée simple danseuse, avec quelques remplacements pour
conserver mes illusions. Je ne travaillais plus régulièrement. Il m’arriva de payer ma note, au
resto ou à l’hôtel. Je n’avais plus d’agent artistique. Je cherchais toute seule des engagements
sans savoir négocier ma gloire passée.
On m’offrit un poste de vestiaire, un jour, et j’ai accepté parce que je n’avais plus de fric, et que
je ne trouvais rien d’autre. Dans un cabaret de touristes. Il fallait tendre la main, insister pour
obtenir les pourboires formant l’essentiel de ma paye !
Je ne suis pas restée longtemps.
J’ai vendu d’abord ma maison à la campagne. Les caisses pleines, j’ai retrouvé la seule vie que je
connaissais. On m’a promis une tournée en Amérique du Sud. J’attendais, je faisais confiance.
Le temps que je claque mes derniers sous, la tournée artistique s’était transformée : ne partaient
que de très jeunes filles, même sans talent ni savoir-faire. Je n’y avais plus ma place.J’ai vendu
mon appartement parisien pour tenir, attendant un autre spectacle, qui ne se monta jamais.
A partir de là, ça va très vite, tu sais.
Plus d’argent, plus d’amis ni de relations dans le monde du spectacle. On cherche un loyer moins
cher, on se retrouve dans des quartiers paumés. On vieillit, on devient moche. C’est pas grave,
c’est la santé qui compte. Tu imagines si je tombe malade !
Finalement, je suis à mon compte, je dois rien à personne ! Je finis pas si mal ! Sauf ces chiens
de flics ! Je comprends rien à leurs papiers ! J’ai pas été formée pour ça, moi !
Elle avait vidé son sac. Ça débordait trop ! Je voyais se ranimer la gouailleuse marchande de
quatre saisons dans le décor de la danseuse à plumes et strass.
Une vie ! Quelle vie !
Elle replongea dans sa malle, en tira une délicate étoffe bleue, épingla dessus une perle toute
simple, très bien montée et me les donna, avec un large sourire édenté.
Tiens ! Ça, c’est plus ton genre. On me les a offerts, je n’ai pas pu les porter. Il fallait que ça se
voye, tu comprends. La perle doit être vraie, je n’ai jamais su, elle est belle, c’est tout.
Protestant sur la valeur du cadeau, je lui suggérai de la vendre, pour se donner un peu de repos.
— « Jamais je n’ai vendu les objets qu’on me donnait ! Je ne pourrais pas !
Je ne veux pas connaître leur valeur. L’objet est acceptable, l’argent serait sale. Celui-ci m’a fait
plaisir, je te le donne, car tu es une gentille fille.
Dis, tu m’renmmène à Châteaurouge, à ma carriole ?
Pour descendre appeler un taxi, je soulève l’épaisse tenture cramoisie...
— Tu sais ce que tu touches, là ? C’est le rideau de scène de « Chez Papa »...
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