• Reflexions de miroir

    Votre miroir a-t-il bonne opinion de vous ? c'est important !

    Car lui vous connaît bien .

     

    Réflexions de miroir.

     

    Ah ouiche ! Flattes-moi, à présent !

    Après tout ce que tu m’as fait ! Et ça n’date pas d’hier !

    Dans les bras de ta mère, toute petite, tu faisais la moue devant moi, prête à pleurer !

    A peine plus grande, tu ne me faisais pas confiance ! Tu me soulevais pour voir si, derrière moi,

    il n’y aurait pas quelque chose de mystérieux, une autre petite fille intriguée...

    Ta curiosité a failli me décrocher, cette fois-là ! J’en frissonne encore.

    Tu as vite cessé de te poser des questions à mon sujet, mais chaque fois que tu passais devant

    moi, que de grimaces as-tu pu m’adresser ! Tu me tirais une longue langue rose, tu fronçais ton

    nez court et me roulais de gros yeux...ou bien, cachée derrière tes longs cheveux tu me criais

    Hou ! en apparaissant subitement... Avais-tu un autre visage, à cette époque, que ces horribles

    grimaces variées qui étaient mon quotidien ? Si c’est le cas, je ne l’ai pas connu.

    Plus tard, ce fut une courte période d’indifférence. Tu passais très vite devant moi, tête baissée.

    Tes préoccupations semblaient ailleurs. Avais-tu des préoccupations, alors ? Le chat...ta poupée ?

    Tu me l’as présentée, cette poupée nommée Josette. Tu la câlinais, lui baisais la bouche, les joues,

    lui parlais... Il avait bien de la chance, cet amas de plastique et de chiffons. Pourtant, que te

    donnait-il en retour ? Que voyais-tu dans ces faux yeux riboulants que tu regardais avec amour ?

    Tu m’as retrouvé. A nouveau tu grimaçais devant moi, souvent. Souvent aussi, tes singeries se

    transformaient en minauderies, en essais de sourires divers, en simagrées, toujours terminées

    par un tirage de langue moqueur, que je prenais pour un au-revoir-à-la-prochaine !

    Et la prochaine se déroulait de même, un peu plus longtemps chaque fois...

    Mais tu aperçus quelques défauts, des points noirs, des boutons...

    Ce fut ma pire époque ! Tu appuyais sur ces points d’où sortaient des matières blanchâtres, tu

    excitais ces boutons devenus purulents. Plusieurs fois je fus souillé par des jets de pus...Quelle

    horreur ! Et ta tête lors de ces pratiques masochistes : laide ! simiesque ! déformée !

    involontairement cette fois. Ce n’était plus le visage moqueur enlaidi pour rire, mais une

    caricature de gamine qui se torture.

    A la même époque, je remarquais tes coiffures invraisemblables, tes frisottages, les couleurs

    insolites posées sur le blond admirable de tes cheveux bizarrement tailladés de mèches courtes

    ou longues... Et ça se succédait interminablement ! Tu me quittais pour revenir, un temps plus

    tard, encore plus déplorable, encore plus grotesque ! Des journées entières !

    Enfin tes essais devinrent plus harmonieux. Tu cessas de triturer d’improbables  pustules,

    d’ailleurs en partie résorbées... Un remède, peut-être ? Ton visage s’affina, différent bien sûr de

    la frimousse qui m’insultait sans cesse, mais avec un autre charme potentiel... Dont je ne profitais

    pas, car tu m’adressait toujours des grimaces en passant, des clowneries, des mimiques

    fabriquées...J’aurais aimé te contempler au naturel... Je n’ai jamais pu.

    Je pénétrais pourtant ton intimité, alors ! Tu te maquillais, désormais ! Ceci nous unissait.

    Matin et soir, régulièrement, tu t’approchais bien près de moi, munie de tout un attirail soi-disant

    nécessaire...C’était encore pire ! Les mimiques que peut réaliser une femme absorbée par son

    maquillage sont encore plus comiques que celles que peut inventer une petite fille moqueuse !

    Et que je t’écarquille de grands yeux, bouche ouverte, pour y passer du noir, du bleu, du brun !

    Et que je te fais la bouche en cul-de poule, suivi d’un rictus très large pour peindre tes lèvres

    assouplies, et que je te présente un profil, puis l’autre au pinceau touffu chargé de poudre, en

    tendant la peau , et que je te recommence avec les yeux et la bouche béants, pour les cils,

    cette fois !

    Après, il y a ce petit coup d’œil furtif satisfait, un court instant, puis vient la grimace  moqueuse,

    inévitable et finale. Ai-je pu te contempler parée, sereine ? Jamais ! Ce qu’ont pu voir, admirer

    peut-être, tous tes petits amis et tant d’autres m’a toujours été refusé.

    Je te retrouve parfois plus tard, pressée. Tu rectifies ce que le temps, la chaleur, parfois le

    chagrin a détérioré. Ce ne sont que brefs regards mécontents, coups d’œil critiques, retouches

    nerveuses à coup de pinceaux et de houppette. Tu es pressée et contrariée, plus grimaçante que

    jamais. Je ne te laisse pas partir de bon cœur, quand c’est ainsi !

    Au coucher je te retrouve, fatiguée, le visage ravagé, pour ton démaquillage et tes soins du soir.

    Parfois, ça va très vite et tu m’accordes à peine un regard. Parfois tu t’attardes et tu ressembles

    à un immense point d’interrogation. Tu fais fonctionner tous tes traits en une sorte de gymnastique

    faciale, tu tartines tout ça de crème grasse, parfois nous allons jusqu’au masque verdâtre, et

    c’est pire que tout. Heureusement que nous sommes seuls, toi et moi, dans ces moments-là !

    Et tu ajoutes parfois des petits sachets sur tes yeux, pour faire bonne mesure !

    Depuis l’époque de la fillette curieuse qui lorgnait mes arrières au péril de ma vie, j’ai un peu

    subi les outrages du temps. Quelques reflets ambrés ternissent mon éclat. J’ai une sévère ébréchure

    à droite, (donc à ta gauche, petite étourdie !) dans mon biseautage décoratif (car j’ai quelque filiation

    vénitienne, n’est ce pas) et mon pourtour est beaucoup moins net.

    Malgré l’âge, j’ai bien remarqué que tu me présentes désormais une partie de toi que je n’avais

    jamais vue, et qui enfle de jour en jour !

    Je sens là un mystère qui n’en est pas un pour toi, peut-être, mais qui, je le sens, t’épates plus

    que moi.

    J’ai aussi remarqué quand tu as apporté des morceaux de papier peint, de tissu... du rose,

    d’abord, du bleu ensuite. Tu as fait des effets, des comparaisons... puis un jour, on m’a décroché

    et mis au coin. Heureusement pas longtemps. J’ai retrouvé mon clou dans un camaïeu de mauves

    tendres inattendu, et tu es venue me regarder, moi. Pas ton reflet en mon sein, non. Moi. J’étais

    fier : on ne me regarde jamais vraiment, on se regarde. Mais j’ai eu peur, car il n’y avait pas

    qu’aménité, lors de cet examen critique.

    Tu m’as ôté, mis au coin à nouveau, en pénitence, plusieurs jours ! J’étais au désespoir !

    Puis j’ai retrouvé ma place, orné d’une cordelière neuve...Calé différemment, je reflète à présent

    un berceau, et tu me visites tous les jours. Plus de grimaces. De la tendresse dans ton oeil

    humide. Tu contemples ta silhouette imposante, presque plus ton visage. Et, obéissant au poète,

    nous « regardons ensemble dans la même direction » celle du berceau qui attend.

    Un miroir réfléchit, tu le sais. Le fruit de ma réflexion va changer Ce n’est peut-être plus toi qui

    va me faire des grimaces, à présent...tu seras trop occupée, trop sérieuse...

    Une nouvelle vie va commencer, que j’attends avec tendre impatience. Des pleurs, des momeries,

    des simagrées, des sourires peut-être ? des baisers...qui sait ?

                                                                              FIN

     


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