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Parfois, je ne crois plus aux fées
une féérie naturelle, pourtant ...
Parfois, je ne crois plus aux fées
C’est à l’entrée de la forêt, là bas, un petit coin de l’orée que je fréquente. J’y ai ma place, mes
amis, et nous buvons ensemble l’eau d’une minuscule source, qui suinte goutte à goutte de trois
pierres et mouille à peine plus que la rosée un tapis mousseux.
Mes amis sont principalement les buissons et les grands arbres préludant à la vraie forêt, dense,
sombre et pour cela peu propice à la promenade, à la chasse et aux cueilleurs de champignons.
Nous nous tenons dans l’antichambre, le boudoir de ce rigoureux château. Un vrai refuge
convivial et sympathique, que l’on atteint par une petite marche aisée, pour peu qu’on le connaisse.
J’y ai parfois surpris des animaux, mais, victime de la mauvaise réputation de mon espèce, je n’ai
pas pu communiquer. Ils s’enfuient. Leur peur est salutaire, aussi n’ai-je pas tenté de les attirer.
C’est avec les plantes, les arbres petits ou grands que l’amitié a pu se nouer.
Il faut un moment pour acclimater mes sens surexploités dans la vie humaine. Quand l’acuité
en revient, par l’attention et la disponibilité, quel délice !
Nous avons maintenant nos habitudes, et la racine saillante d’un de mes arbres préféré m’offre
une courbe obligeante, une invite amoureuse à me coucher contre elle sur l’herbe douce.
Je m’y love avec reconnaissance et laisse vaguer ma pensée en contemplant les cimes loin
au-dessus du ver de terre que je suis.
Comme pour les humains, je ne cherche pas de mes amis végétaux leur provenance, leur nom
de famille, leur origine ni le détail de la forme de leurs organes ou la texture de leur peau.
Je m’en tiens à la bienséance qui serait de mise dans une assemblée amicale humaine. Le nom
que leur ont donné les hommes m’est inconnu. Qu’il le reste. Je les ai nommés des plus jolis
mots que j’ai pu trouver, les plus en rapport avec ce qui m’apparaît de leur personnalité. C’est
pour moi leur nom. Il ne me semble pas qu’ils en soient mécontents. Je me plais à penser qu’ils
apprécient. Sans doute, puisqu’en ce lieu, je me sens bien-aimé.
Toute attention relâchée, la vacuité de mon regard s’attarde nonchalamment aux ramilles et au
feuilles nouvelles, celles que le printemps a suscité il y a peu. Le soleil de cette fin mai les
découpe sur un ciel lumineux et rend leur vert plus sombre.
Mais là ! là ! cette blancheur ?
Un groupe de trois feuilles, à peine attachées à leur branche, tourbillonne au gré de...quel souffle ?
Il n’ a pas la moindre brise, tout alentour est immobile et ces trois feuilles tournent et virevoltent,
d’un mouvement animé et fantasque. Il me semble bien les voir briller, comme éclairées...
Un nuage voile le soleil, tamise l’éclairage rutilant de cette après-midi pré-estivale et dévoile
l’étonnante blancheur de ce trio dansant. Ce sont des feuilles, pourtant, mais privées pour on ne
sait quelle raison de leur chlorophylle, elle sont éblouissantes d’ ingénuité toutes les trois. Qui est
l’insecte ou l’oiseau qu’elles ont intrigué ou séduit et qui a coupé la ramille, juste où les trois
pétioles se réunissent ? Seule un fibre ténue ou un fil de soie les retient, et autorise leur agitation
folle.
Elles dansent, animées par... Voilà le coupable !
Un joli petit oiseau leur tourne le dos et cherche son équilibre sur une branche si fine qu’il agite
sans fin ses ailes et sa queue. Voilà la brise qui fait si bien danser ces trois albinos..
Fasciné par cet épisode gracieux tout là-haut, hypnotisé je ne vois plus trois feuilles candides,
mais le corps et les deux ailes d’un ange minuscule, ou d’une fée, gracieuse et déliée dans sa
valse enlevée.
Voici que se brise le fil de soie dont elle était prisonnière. Une folie de liberté la saisit et elle
entame une danse harmonieuse avec des orbes, des vrilles, des évolutions niant toute idée de
pesanteur. Ce n’est plus le furtif battement d’ailes qui l’anime à présent. Ce n’est pas le vent non
plus. Elle valse pour elle même, elle est vivante. D’un blanc éblouissant, surnaturel, cette création
du hasard a pris vie sous mes yeux.
Elle exécute un ballet à la chorégraphie savante et inattendue, profitant des infimes courants
ascendants que l’architecture du clair obscur qui domine là-haut provoquent pour un élan de vie
nouvelle vers les cimes. De nouveaux tourbillons, des voltes inédites, des orbes gracieuses la
rapprochent de moi au point de voir ses dentelles et voici qu’elle remonte à la faveur d’une
respiration du ciel, d’un soupir du zéphyr sur ses ailes ténues. Elle virevolte, danse, danse, danse...
et se fait d’un coup languide, voluptueuse, lascive. Sa danse nonchalante devient séductrice si
près de moi que mon cœur s’élance vers elle, accompagne son lent tempo et recueille sa lassitude
qu’elle vient poser sur la mousse, juste sur une gouttelette que la courte source à envoyée vers
moi, vrai diamant magnifié par une éclaboussure de soleil filtrant entre les branches. Elle reste là,
dressée sur son piédestal adamantin, palpitante de sa danse et prête à un nouvel envol, qui ne
sera pas. La minuscule gouttelette la retient prisonnière. Peu à peu, rêvant sans doute de la
liberté jubilatoire dont elle a joui avec ardeur, elle se couche là, auprès de moi, et nos âmes
mêlées montent dans l’éther pour un pas de deux tendre et passionné.
... Le lendemain , il pleuvait à verse.
Lorsque je suis retourné quelques jours plus tard dans mon coin secret, le cœur inexplicablement
étreint une angoisse irraisonnée, des ornières et des branches cassées m’accueillirent.
Mes amis, bouleversés, blessés sanglotaient en silence, la source était défoncée et même le
souvenir de l’émerveillement des jours passés avait été assassiné.
Un atroce grillage tout neuf cernait la sombre forêt.
La nausée me prit, je repartis chancelant vers le village, où l’on m’expliqua que le nouveau
propriétaire de ces terres clôturait une grande partie de celles-ci pour en faire une réserve de
chasse.
Il en avait le droit...
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